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INTRODUCTION T

pouvoir chercher son salut dans une fuite rapide. Corneille la suppose prisonnière: dès lors, le ressort essentiel de sa tra^s die est trouvé, car cette tragédie est tout entière dans la reni'ontre de deux grandes âmes. Chose remarquable! L'his-, toire otlrait au poète un autre ressort dramatique, l'arnout de César pour Cléopâtre. Eh bien, la partie faible du drame, c'est précisément la peinture de cet amour, historiquement réel; la partie sublime, c'est celle qui n"a de réalité que dans, l'imagination de Corneille. La fiction est ici plus vraie que l'histoire.

On ne saurait sans injustice insister sur cette comparaison tout à l'avantage de Corneille et rabaisser les historiens pour relever le poète, car l'histoire n'a pas les libertés de la poésie* Mais voici un poète, Lucain, qui n'a point à craindre le paral- lèle, s'il est vrai que Corneille lui ait tout emprunté. Que de fois on a rappelé, en les appliquant à Corneille, les vers de Boileau :

Tel s'est fait par ses vers distinguer dans la ville Qui jamais de Lucaiu n'a distingué Virgile '.

« Le grand Corneille m'a avoué, non sans quelque peine e^; quelque honte, qu'il préférait Lucain à Virgile -. » Ce témoi' gnage du docte évoque Huet ne permet guère de douter que Boileau n'ait eu en vue Corneille, et Corneille lui-même ne songeait pas à dissimuler ses préférences. 11 disait que de tous ses succès celui qui lui avait causé les jouissances les plus pures, c'était le prix obtenu par lui en rhétorique chez les Jésuites de Rouen pour avoir traduit en vers une page de la Pharsale ^. A M. de Zuylichem, qui lui avait envoyé un recueil de vers latins, il répondait : « Votre présent m'a été très cher, et par sa propre valeur, et par l'estime que vous y témoignez pour mon bon ami Lucain ^. » Comme il l'obser- vait, d'aiTleurs, dans lEpitre du Menteur, dédié à ce même Huyghens de Zuylichem, Sénèque et Lucain sont tous deux nés à Cordoue, et c'est aux modèles espagnols qu'il aime à s'adresser. Mais qu'on ne s'y trompe pas : si les Espagnols sont ses maîtres, il ne les croit pas inimitables, et, ne craint pas de se déclarer leur l'mule : « Le temps m'a donné le moyen d'amasser assez de forces pour ne laisser pas cette différence si visible dans le Pompée, où j'ai beaucoup pris de Lucain, et

1. Art poétique, IV.

2. Huet, Oriijines de Cuen, p.' 545.

3. François de Neufrtiàtcau, l'Esprit du grand Corneillt. ■i. Lettre du 6 mare 1649.

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