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INTRODUCTION 29

absolue entre la scène de l'acte II et celle de l'acte V ; elles lions présentent seulement deux aspects divers d'un même caraclère,. Le vieillard qui, sans consulter son fils, demande pour lui la main de Clarice, qui, sans se préoccuper de la lui l'aire connaître d'abord, lui annonce que « l'atfaire est con- clue », qui n'accepte pas ses objections et le somme d'obéir, n'est pas un père si avili ni si ridicule. Si pourtant il est dupe des inventions de son fils, faut-il tant s'en étonner? De plus défiants, de plus clairvoyants que lui se laisseraient prendre à l'air de vraiseniblance , à la sincérité apparente de ces men- songes ingénieux. 11 est vrai que son aveuglement va bien loin et se prolonge bien longtemps ; on ne comprend guère, par exemple, qu'il se plaise à vanter la « sagesse » de sa bru imaginaire, que les réponses embarrassées ou contradictoires de son fils, les effarements de Cliton ne lui ouvrent pas enfin les yeux. Mais ce qui l'aveugle, ce n'est point la simplicité poussée jusqu'à la sottise, c'est l'amour paternel poussé jus- qu'à la passion pour ce fils unique en qui il se voit revivre, qui perpétuera sa race et son nom. Plus est absolu cet amour, plus est naïvement cbaleureuse l'explosion de sa joie, lorsqu'il salue d'avance la venue du petit-fils qu'on lui promet, plus naturelle aussi et plus pathétique sera l'explosion de sa dou- leur indignée, quand il comprendra que Dorante s'est joué de ses sentiments les plus cliers. C'est dans la profondeur de sa tendresse outragée, de ses espérances profanées qu'il puisera la mâle noblesse de son éloquence. 11 n'aura qu'à se redresser pour s'élever sans effort, du rang des Chrêmes ou des Micion de la comédie latine, au niveau des grands vieillards corné- liens.

Cette brusque apostrophe : « Êtes-vous gentilhomme ? » vaut le mot de don Diègue : « Rodrigue, as-tu du cœur? » C'est le même appel fait au sentiment de l'honneur. Et voyez comme Géronte, vieux gentilhomme, ressent la boute de son fils, et de quel ton il la lui reproche, répétant plusieurs fois à dessein les mots qui sont les plus cruels à entendre pour un homme d'honneur, les mots de lâche et de menteur ; si bien que, s'irritant de ses défis injurieux et oubliant presque que c'est son père qui lui parle. Dorante s'écrie avec colère et prêt à répondre à l'insulte : « Je ne suis plus gentilhomme, moi ! » Mais ce cri de fierté n'apaise pas le vieillard, et il re- prend avec l'autorité d'un père :

Laisse-moi parler, toi de qui l'imposture Souille houteusement ce don de la nature.

Bientôt pourtant, après ces premiers cris de l'honneur

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