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INTRODUCTION 27

près muet. On n'en pourrait dire autant d'Aronte, valcl de Ljsandre, dans la Galerie du Palais : il est vaniteux, intri- gant, avide, et trahit le maître qui se laisse conduire par ses conseils. Cliton n"a ni le dévouement silencieux de l'un, ni la friponnerie de l'autre : il sert fidèlement son maître, niais à condition de le pouvoir railler de temps en temps. On l'a dil avec raison *, ce « menteur goguenard » n'appartient pas à la famille des Scapin, dés Crispin, des Fronlin ; il frappe des proverbes, comme Sancho, dont il a le bon sens, avec plus de flnesse; son caractère est un curieux mélange de naïveté et de malice, d'expérience sceptique et de crédulité, comrne son langage est un mélange d'ironie piquanle et de trivialité brutale. Comment est-il à la fois un -mentor si judicieux et une dupe si facile ? Comment concilier son admiration in- quiète pour le génie d'invention de son maître avec les étranges libertés de parole qu'il ne s'interdit pas? De tous ces con- trastes pourtant se compose une figure originale et vivante. Le mérite de cette création est d'autant plus grand que Cor- neille, en la concevant, se privait volontairement d'un élé- ment essentiel de l'ancienne comédie. Plus de ces fourberies équivoques, mai^ réjouissantes, des valets italiens, qui déri- daient les plus sévères: Cliton ne ment pas lui-même, à propreilienl parler, ou, du moins, n'r^st menteur que par ricochet ; il s'efforce même d'arrêter le torrent des mensonges de son maître, et ne lui épargne pas les remontrances ; au lieu d'être son complice, il est ; on précepteur de morale, bien qu'il lui prêche et nous prêche une mnrale fort peu rele- vée. Eli bien, ce valet sermonneur, qui semblait devoir être ennuyeux et froid, est la gaieté de la pièce : il n a même pas besoin d'ouvrir la bouche : sa pantominie expressive suffit à nous égayer : les mille jeux de physionomie où se traduisent tour à tour sa surprise et son impatience, son ironie et son dépit, soulignent d'un trait plaisant les bonnes fortunes ou les mésaventures de Dorante. C'est un gracioso^ mais un gra- cioso gaulois, qui manque parfois de délicatesse, qui ne man- que jamais d'esprit.

Tl serait donc exagéré de prétendre que, sauf Géronte, tous les autres personnages sont éclipsés par le Menteur et ne sont guère que les auditeurs de ses contes. Mais il est certain que les deux figures de Dorante et de Géronte occupent seules le premier plan. Ce n'est point uniquement la séduction de l'antithèse qui a décidé Corneille à les opposer i'ane à l'autre. Denuis longtemps, il s'était fait une idée particulière des

I, i»-. Merlet, Etudes^ittéaires sur les classiques françai».

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