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INTRODUCTION 23

niles nous convaincra bientôt que Corneille, en s'élevant au- dessus de lui-même, ne se montre pas infidèle à l'esprit qui animait ses premières œuvres, et que, de Mélite au Menteur, une étroite parenté unit les caractères renouvelés ou créés par lui.

S'étonne-t-on, par exemple, de la soudaine passion que Clarice inspire à Dorante ? Mais l'amour, chez Corneille, est le plus souvent l'elTet d'un coup de foudre inattendu ; c'est un entraînement irrésistible et fatal auquel nous essayerions en vain de nous soustraire. Dans la Galerie du Palais, Dorimant s'éprend d'un beau feu pour le premier joli visage qu'il en- trevoit. De même, le Tircis de Mélite, à première vue, conçoit pour Mélite une passion qui touche de bien près à la folie.

En revanche, les amoureuses, sauf exception, restent maî- tresses d'elles-mêmes, et sont plus volontiers railleuses que passionnées. Voyez, dans cette même pièce de Mélite, Chloris s'éloigner, le sourire aux lèvres, de Philandre infidèle, sans éclats de sensibilité, sans démonstrations tragiques, avec simplicité et fermeté. Comme Clarice, qui accueille Dorante sans décourager Alcippe, elles sont d'esprit pratique. Leur grande affaire, c'est le mariage; mais toutes ne la conduisent pas de même façon. Les unes, fines d'ailleurs, mais froides, n'ont pas de volonté qui leur soit propre, et se plient à la vo- lonté de leur famille, sans témoigner d'en être fort lieureuses ni fort chagrines :

Sachez que mes désirs, toujours indifférents, Iront sans résistance au gré de mes parents; Leur choix sera le mien... Et, mon père content, je dois être contente *.

Les autres, filles de tête plus encore que de cœur, préten- dent choisir librement et ne consulter que leur inclination ;

Mon père peut beaucoup, mais bien moins que ma foi ; Il a choisi pour lui, je veux choisir pour moi 2.

La Clarice du Menteur tient, ce semble, des unes et des au- tres; elle ne s'abandonne jamais tout entière, puisque, fian- cée à Alcippe, elle se montre disposée à le quitter pour Do- rante, et qu'ensuite, trompée ou se croyant trompée par Dorante, elle revient volontiers à Alcippe, non sans quelque pointe de dépit, il est vrai. Elle aussi, en fille obéissante, se couvre du nom et de l'autorité de son père ; mais il faut

1. Place Royale. I. niusion comique.

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