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i54 POMPÉE

Le sort d'un ennemi, quand il n'est plus à craindre!

Qu'avec chaleur, Philippe, on court à le vénérer

Lorsqu'on s'y voit forcé par son propre dangrr, 1540

Et quand cet intérêt qu'on prend pour sa mémoire

Fait notre sûreté comme il croît notre gloire!

César est généreux, j'en veux être daccord;

Mais le roi le veut perdre, et son rival est mort.

Sa vertu laisse lieu de douter à l'envie 1545

De ce qu'elle ferait s'il le voyait en vie :

Pour grand qu'en soit le pinx, son péril en rabat;

Cette ombre qui la couvre en affaiblit Téclat;

L'amour même s'y mêle, et le force à combattre :

Quand il venge Pompée, il défend Cléopàtre. 1550

Tant d'intérêts sont joints à ceux de mon époux,

Que je ne devrais rien à ce qu'il fait pour nous.

Si, comme par soi-même un grand cœur juge un autre,

Je n'aimais mieux juger sa vertu par la nôtre,

1538. « Ces beaux vers font un très grand effet, parce que la maxime est courte, et qu'elle est en sentiment. Peut-êlre Cornelie est-elle toujours trop occupée de rabaisser le mérite de César. Elle doit savoir que César a parlé de pnnir le meurtre de Pompée en arrivant en Ecrj-pte et avant que Plolomée conspirât contre lai. !Mais que ne pardocne-t-on point à la veuve de Pompée gémissante? « (Voltaire.) Comment Cornelie eût-elle pu être instruite de ce qui s'est passé entre César et Cléopàtre? Elle ne voit et ne peut voir qu'une chose : César a combattu Pompée pendant sa vie, la mort seule du héros l'a désarmé. Ce brusque changement de conduite doit lui paraître suspect, et le lui paraîtrait bien plus encore si elle avait été témoin de la « maligne joie » dont César a eu tant de peine à se défendre en se voyant délivré de son rival. La Rochefoucauld écrira plus tard : « Il y a souvent plus d'orgueil que de bonté à plaiadre les malheurs de nos ennemis : c'est pour faire sentir que nous sommes au-dessus d'eus que nous leur donnons des marques de compassion. » {Maximes, 463.) Du reste, Cornelie va insister sur cette idée de l'intérêt partout présent.

1539. On court à le venger; en o-énéral, courir à est suivi d'un substantif; on trouve cependant, au xvii" siècle, dans la poésie et dans la prose, plusieurs exemples de cette construction remarquable.

Si je ne puis fléchir, je cours à me venger. [Andromède, 144G.)

1542. Croître est ici pour accroi '•e, comme au v. 1002.

1544. Sur cette construction de le, voyez la note du v. 404 et le v. 1756.

1545. Laisse lieu de douter, donne une raison pour douter; voyez le v. 1227 de Polyeucte.

1547. Four grand qu'en soit le prix, quelque grand qu'en soit le prix. 11 faut regretter ce tour si vif, que le tour adopté aujourd'hui remplace mal. Pour grands que sont les rois, ils sont ce que nons sornnies. (Cid, 157.)

Son péril en rabat, c'est-à-dire le péril qu'il court lui-même rabat, diminue beaucoup du prix de cette vertu, car cette vertu serait plus éclatante si César n'avait pas à se défendre et à se venprer en venereant Pompée.

1554. <• Si Cornelie ju.ffe César si vertueux, si eénéreux, il semble qu'elle aurait du souhailei- un peu moins sa mort. Elle ne paraît pas toujours d'accord avec elle-méma. .. (Voltaire.) « C'est dans ces oppu^'it;ons que consiste la beauté de son caractère : elle doit haïr César, mais elle ne peut se dispenser de l'estimer. >i CPalissot.)

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