Page:Corneille Théâtre Hémon tome2.djvu/409

Cette page n’a pas encore été corrigée

INTRODUCTION 4S

Bien que tes cruautés augmentent chaque jour,

La loi fait dans mou cœur l'oflice de l'amour...

Le même sentiment me force à t'avertir

Que c'est au nom d'époux que mon amour se donne,

Qu'en t'aimaut comme tel, j'abhorre ta personne,

Et que, si dans ta place un monstre avait ma foi,

Il aurait dans mon cœur le même rang que toi.

Voilà où est l'exagération, rinvraisemblance, la parodie : aimer son mari en tjnt que mari, tout en le ha'issant en tant qu'homme, c'est sortir de la' nature vivante pour entrer dans le domaine des abstractions impossibles. Mais aimer son mari par devoir, en gardant un souvenir plus tendre à l'amant qu'on croit mort, cela est naturel et dramatique. Ce n'était point l'avis de M"^ Clairon ; la célèbre actrice, dont le rôle de Pauline était un des triomphes, ne se fait point faute dans ses Mémoires de critiquer le caractère qui l'avait si bien inspirée : « Pauline est un personnage dont il n'existe aucun modèle dans la nature ; je l'ai du moins vainement cherché et dans le monde et dans l'histoire. Des passions, des goûts qui se succèdent se rencontrent partout et tous les jours ; mais deux amours réels, existant ensemble, avoues à chacun des deux hommes qui les inspirent et justifiés par le respect, l'estime et la confiance de l'un et de l'autre, est chose inouïe dans la nature, et très difficile à rendre décente et vraisem- blable aux yeux de la multitude. » N'admire-t-on pas de trouver réfugiée chez la Clairon la pudeur facile à effaroucher de l'abbé d'Aubignac?

Qui donc a raison, de M"* Clairon ou de M™" la dauphine qui disait, en sortant du théâtre : « Voilà une très honnête femme qui n'aime pas son mari'. » Si l'on en croit la pre- mière, l'âme de Pauline est partagée entre deux passions égales ; si l'on en croit la seconde, une seule passion la tyrannise. La vérité, elle est entre ces deux opinions extrêmes. Oui, deux affections existent dans l'âme de Pauline, mais ces deux affections sont de nature très diverse: loin de se déve- lopper parallèlement, elles se combattent et s'excluent. Oui, Pauline, au début de la tragédie, a de l'amour pour Sévère et n'a que de l'estime pour Polyeucte ; mais, à la fin, les rôles sont changés : c'est Polyeucte qui est aimé; l'amant d'autrefois doit se contenter de l'estime à son tour ; ITiéro'isme du mf^ri lui a reconquis le cœur de sa femme.

Aux deux premiers actes, le doute n'est pas possible : Pauline aime Sévère parce qu'elle l'admire ; sa confidence a

i« Lettre de M" de Sévigné, 28 août 1680.

�� �