Page:Corneille Théâtre Hémon tome2.djvu/405

Cette page n’a pas encore été corrigée

INTRODUCTION 4î

trahit : « ciel! » s'écrie-t-il, quand, pour la deuxième fois, il voit entrer Pauline désespérée; mais il reprend aussitôt son masque d'insensibilité, et Pauline n'obtient de lui que la plus sèche des réponses : « Vivez avec Sévère ^ » Il n'est donc point | vrai que l'amour divin ait complètement étouffé en lui l'amour | humain; tous deux n'en font plus qu'un; il aime en Pauline la chrétienne future. Même, il n'est pas vrai qu'il la repousse pour la jeter de force dans les bras de Sévère : elle doit choisir entre "Sévère et le monde, d'un côté, Polyeucte et le ciel, de l'autre. Dans la dernière scène où il paraît, exalté par l'approche du martyre, mais encore maître de lui, il pré- sente à Pauline cette alternative en des termes bien remar- quables :

Je vous l'ai déjà dit, et vous le dis encore,

Vivez avec Sévère, on mourez avec moi.

Je ne méprise point vos pleurs ni votre foi;

Mais, de quoi que pour vous notre amour m'entretienne,

Je ne vous connais plus, si vous n'êtes chrétienne 2.

Est-ce là le langage d'un fanatique intraitable, dont l'àme est fermée à toute tendresse? et l'homme qui affecte ailleurs tant d'impassibilité est-il bien celui qui, en sortant pour aller à la mort, jette à sa femme cet adieu ému :

Chère Pauline, adieu; conservez ma mémoire?

Deux conclusions ressortant de cette analyse : d'abord il n'est pas vrai que Polyeucte atteiç;ne sans eti'ort au martyre, c'est-à-dire à la sainteté, car il est homme dans toute la pre- mière partie de la pièce ; puis, même apiès la crise du qua- trième acte, qui le transfigure et déjà le sanclifie, il n'est pas Trai qu'il se repose dans une perfection impassible.

Humainement, sans doute. Sévère est mieux l'ait pour atti- rer et fixer notre sympathie, comme Curiace nous plaira tou- jours mieux qu'Horace. Horace et Polyeucte n'en restent pas moins les héros que Corneille propose à notre admiration. En thèse générale, d'ailleurs, on peut dire que ceux-là seuls danâ le théâtre cornélien méritent le nom d'amants héroïques, qui de plus en plus admirables, sont aussi de plus en plus aimés. Or, Sévère, spectateur impartial des événements, personna2:8 moins actif que contemplateur et raisonneur, ajoute beaucouj) par sa seule présence à l'intérêt de l'action, mais n'est pas le centre de celte action et ne la dirige pas ; en tous cas les in-

i. Acte V, gc. 3.

�� �