saient alors tant de bruit, qui tenaient tant de place, sur qui tous les yeux étaient fixés, généraux, grands seigneurs, financiers, ministres, devant lesquels Corneille paraissait si humble, qu’il regardait de si loin, qu’il était forcé de flatter pour vivre ? Qu’est devenue leur mémoire qu’on croyait éternelle ? Qui se rappelle aujourd’hui leur nom ?
Tant qu’a duré leur vie, ils semblaient quelque chose ; Il semble, après leur mort, qu’ils n’ont jamais été.
« Le temps n’a pas seulement emporté le souvenir des hommes : il a fait bien d’autres ravages. Depuis que Corneille est mort, cette vieille société a disparu tout entière. Parlements, noblesse, monarchie, en doux siècles tout a péri. Seule (permettez-moi d’en sentir quelque orgueil), seule ou presque seule, la compagnie que j’ai l’honneur de représenter a survécu à ces désastres. N’est-il pas remarquable que, dans ce pays où tout passe, les lettres aient su fonder une institution qui a duré ?
« Si la gloire de Corneille est restée debout au milieu de ces ruines, si elle s’est conservée entière jusque dans un monde qui n’est plus le sien, c’est qu’en écrivant pour le théâtre, où d’ordinaire le public lait la loi aux auteurs, où la mode règne en souveraine, il eut le courage de rompre avec le goût de son temps et courut le risque de déplaire à ses contemporains pour plaire à la postérité. Son génie eut la claire intuition de ce que devait être le drame français ; tandis que ses rivaux se contentaient de piquer la curiosité des spectateurs par les complications de l’intrigue, en entassant les uns sur les autres les incidents les plus bizarres, il chercha l’intérêt dans la lutte des passions et la peinture du cœur ; il mit sur la scène des tableaux de la vie ; et, comme l’âme humaine ne change guère et que la vie, sous des formes différentes, reste semblable au fond, il s’est trouvé qu’il a écrit pour tous les siècles.
« Le nôtre, en particulier, a beaucoup de profit à tirer de la lecture de ses curages. Vous savez qu’il y a des maladies dont ou ne peut auéiir qu’à la conditioa d’aller respirer l’air pur des montagnes. Ne pensez-vous pas qu’au momeutoù il semble que notre littérature « aspire à desceudre », il est utile, il est sain de la faire vivre dans le commerce d’un grand poète qui la ramène sur les hauteurs ? La Bruyère donnait à Corneille cet éloge qu’il