XLiv BIOGRAPHIE DE CORNEILLE
moitié : l'amour sénile de Syphax, la jeune passion de Massinisse n'étaient point pour déplaire aux spectateurs du temps. Si ces mêmes spectateurs trouvaient que Sophonisbe est trop fonciè- rement carthaginoise, ils se trompaient; ils se trompaient moins, s'ils jugeaient que, trop visiblement, elle était Carthage elle-même. Voilà par où les « délicats » et les « doucereux » prenaient leur revanche : ils réclamaient un amour où le cœur eût plus de part, où les souvenirs de l'histoire et les intérêts de la politique inter- vinssent moins.
Ils réclamaient en vain : s'obstinant à suivre la route qu'il s'était désormais tracée. Corneille, dans Othon (1664), rivalisait avec Tacite, et parfois ne lui semblait pas inférieur pour le sombre et vigoureux coloris des tableaux. Voyez cette belle peinture de l'État romain opprimé par les trois ministres du vieux Galba :
Je les voyais tous trois se hâter sous un maître Qui, chargé d'un long âge, a peu de temps à l'être, Et tous trois à l'envi s'empresser ardemment A qui dévorerait ce règne d'un moment'.
Admirable tableau de l'anarchie de Rome sous les empereurs I s'écrient les érudits; mais les simples lettrés sont un peu de l'avis de Despréaux : » Il n'était point du tout content de la tragédie à!Othon, qui se passait toute en raisonnements, et où il n'y avait point d'action tragique. Corneille avait affecté d'y faire parler trois ministres d'Étdt, dans le temps où Louis XIV n'en avait pas moins que Galba, c'est-à-dire : MM. Le Tellier, Colbert et de Lionne. M. Despréaux ne se cachait point d'avoir attaqué direc- tement Othon dans ces quatre vers de son Arl poétique :
Vos froids raisonnements ne feront qu'attiédir Un spectateur toujours paresseux d'applaudir, Et qui, des vains efforts de votre rhétorique Justement fatigué, s'endort ou vous critique-,»
Et Tdllemaut écrit : « Corneille a lu par tout Paris une pièce qu'il n'a pas encore fait jouer. C'est le couronnement d'Othon. II n'a pris ce sujet que pour faire continuer les gratifications du
1. Othon, I, 1.
2. Art poétique, III, v. 21-24. Voir le Bolœana.
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