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58 LE GID

sans peine la contradiction apparente. Il y a plus : cette sépa- ration des deux amants, dont son esprit est « charmé », elle travaille elle-même à la rendre définitive; mais elle y tra- vaille avec une gaucherie naïve, qui compromet le succès de ses artifices, en laissant voir trop à découvert le mobile qui les inspire. Une scène presque comique par le ton est la scène 2 de l'acte IV : la charitable infante y fait subir à Chi- mène un véritable interrogatoire. Il lui importe de savoir à quel point Rodrigue est aimé encore, et dans quelle mesure elle peut espérer; mais Cbimène ne se laisse point arracher son secret. Toujours obligeante, l'infante propose alors un moyen de tout concilier. Pourquoi s'obstiner dans une ven- geance devenue impossible? Pourquoi réclamer du roi la tête du vainqueur des Maures, désormais assuré de l'impunité? Chiméne a en sa possession une vengeance plus sûre et plus cruelle : qu'elle laisse à Rodrigue la vie et lui ôte son amour, Rodrigue sera trop puni. Par cette habile combinaison, l'in- fante, d'un côté, met Rodrigue à l'abri de tout danger, de l'autre, le détache de Cbimène et le garde tout pour elle. Comment ne pas sourire de ces roueries ingénues?

Si l'on se demande, en dernier ressort, pourquoi Corneille a maintenu le personnage de rinfante, alors qu'il supprimait ceux de l'infant et de la reine, nous répondrons : précisément parce qu'il a créé le personnage de don Sanche, manifestant ainsi l'intention de conserver au Cid le caractère d'une tragi- comédie romanesque. Combien de héros de romans traînent après eux ces princesses lamenlables! S'il a voulu compliquer l'action, il y a réussi, mais au détriment de la simplicité etdt la vivacité du drame ; s'il a voulu doubler Tintérêt, il a échoué. Qui s'intéresse aux espérances et aux douleurs de l'infante? Qui prend au sérieux le combat tout abstrait qui se livre dans son âme entre la passion et le devoir? Qui voit en elle une dangereuse rivale de Cbimène? A.u théâtre, ce rôle fail longueur; à la lecture, il est froid encore, mais offre un sujet d'étude curieuse: car Cbimène, qui aime, souffre et se sacrifie, nous apparaît plus grande entre l'infante, cette vivante élégie transportée dans le drame, et la « gouvernante » Elvire, vraie suivante de tragi-comédie, dont les amants recherchent la fa- veur. Le caractère dElvire offre un autre aspect, mais plus trivial, de la réalité en face de l'idéal héroïque : elle ne com- prend rien à V v humeur étrange », au « dessein si tragique >• * de Chimène; elle lui parle comme la Dorine de Tartufe pan4 à Mariane, sur un ton d'aimable et grondeuse bouderie :

1. Cid, 111.*

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