INTRODUCTION 31
leur amour. On jugera de quel côté sont la discrétion, le naturel et la profondeur du sentiment.
��Troisième journée.
La troisième journée semble la plus vide de choses. Si l'on met à part l'épisode, emprunté aux anciens poèmes, du lépreux soigné par Rodrigue et en qui se révèle le bienheu- reux Lazare, épisode saisissant, mais étranger au vrai sujet de Corneille, si l'on écarte le personnage assez peu intéres- sant de don Martin Gonzalez, champion de l'Aragon, qui dispute la ville de Calaliorra aux Castillans plus encore que Chimène à Rodrigue, que reste-t-il ? Trois scènes où Chimène est au premier plan, mais nous étonne plus qu'elle ne nous émeut.
D'abord, une troisième démarche de Chimène — une par Journée! — lasse notre attention, que Corneille a plus discrète- ment ménagée. Trop multipliées, les plaintes de Chimène ne nous touchent guère plus que les rêves sans cesse recom- mencés de la triste infante. Et ces plaintes sont parfois bien étranges : « Chaque jour je vois passer celui qui tua mon père, l'épée au côté, couvert de riches habits, sur son poing un épervier, monté sur son beau cheval. Sous prétexte de chasser, à la maison de campagne où je me suis retirée, il va, vient, regarde, écoute, indiscret autant qu'osé, et, pour me faire dépit, il tire à mon colombier; le sang de mes colombelles a rougi mon tablier. » Quel rapport entre ce Rodrigue si brutal et le Rodrigue des autres journées? 11 est clair qu'ici Castro a purement et simplement emprunté le texte d'une ancienne canlilène; c'est comme une fausse note qui détonne dans l'ensemble. Le seul caractère qui nous in- spire une réelle sympathie est celui de don Diègue : il sait à quelle épreuve don Arias va soumettre Chimène; il entend le récit de la mort de Rodrigue, fait par un domestique dont Corneille nous a délivrés. Le récit est inventé, il le sait* pourtant il s'émeut : « Ces nouvelles, quoique je les sache fausses, m'arrachent des larmes ».
Un moment trahie par son émotion, Chimène s'est bientôt ressaisie; le combat singulier entre Rodrigue et Martin Gon- zalez est décidé. Elle confie à Elvire ses regrets et ses craintes Mais où donc est Rodrigue, ce Rodrigue dont l'apparition soudaine ouvre la première scène du cinquième acte, la plus originale du drame cornélien ? Il ne paraît que dans la der-
�� �