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plus, de Léon j'appuyai l'espérance ;
La princesse l'aima, j'en eus la confiance,
Et la dissuadai de se donner à lui
Qu'il ne fût de l'empire ou le maître ou l'appui.
Ainsi, pour éviter un hymen si funeste,
Sans rendre heureux Léon, je détruisais le reste ;
Et mettant un long terme au succès de l'amour,
J'espérais de mourir avant ce triste jour.
Nous y voilà, ma fille, et du moins j'ai la joie
D'avoir à son triomphe ouvert l'unique voie.
J'en mourrai du moment qu'il recevra sa foi,
Mais dans cette douceur qu'ils tiendront tout de moi.
J'ai caché si longtemps l'ennui qui me dévore,
Qu'en dépit que j'en aie, enfin il s'évapore :
L'aigreur en diminue à te le raconter.
Fais-en autant du tien ; c'est mon tour d'écouter.

'JUSTINE' — Seigneur, un mot suffit pour ne vous en rien taire :
Le même astre a vu naître et la fille et le père ;
Ce mot dit tout. Souffrez qu'une imprudente ardeur,
Prête à s'évaporer, respecte ma pudeur.
Je suis jeune, et l'amour trouvait une âme tendre
Qui n'avait ni le soin ni l'art de se défendre :
La princesse, qui m'aime et m'ouvrait ses secrets,
Lui prêtait contre moi d'inévitables traits,
Et toutes les raisons dont s'appuyait sa flamme
Étaient autant de dards qui me traversaient l'âme.
Je pris, sans y penser, son exemple pour loi :
"Un amant digne d'elle est trop digne de moi,
Disais-je ; et s'il brûlait pour moi comme pour elle,
Avec plus de bonté je recevrais son zèle. "
Plus elle m'en peignait les rares qualités,
Plus d'une douce erreur mes sens étaient flattés.
D'un illustre avenir l'infaillible présage,
Qu'on voit si hautement écrit sur son visage,