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Tout cela veut du temps ; et l'amour aujourd'hui
Va faire ce qu'un jour son nom ferait pour lui.

'JUSTINE' — Hélas ! Seigneur.

'MARTIAN' — Hélas ! Ma fille, quel mystère
T'oblige à soupirer de ce que dit un père ?

'JUSTINE' — L'image de l'empire en de si jeunes mains
M'a tiré ce soupir pour l'état, que je plains.

'MARTIAN' — Pour l'intérêt public rarement on soupire,
Si quelque ennui secret n'y mêle son martyre :
L'un se cache sous l'autre, et fait un faux éclat ;
Et jamais, à ton âge, on ne plaignit l'état.

'JUSTINE' — À mon âge, un soupir semble dire qu'on aime :
Cependant vous avez soupiré tout de même,
Seigneur ; et si j'osais vous le dire à mon tour...

'MARTIAN' — Ce n'est point à mon âge à soupirer d'amour,
Je le sais ; mais enfin chacun a sa faiblesse.
Aimerais-tu Léon ?

'JUSTINE' — Aimez-vous la princesse ?

'MARTIAN' — Oublie en ma faveur que tu l'as deviné,
Et démens un soupçon qu'un soupir t'a donné.
L'amour en mes pareils n'est jamais excusable :
Pour peu qu'on s'examine, on s'en tient méprisable,
On s'en hait ; et ce mal, qu'on n'ose découvrir,
Fait encor plus de peine à cacher qu'à souffrir ;
Mais t'en faire l'aveu, c'est n'en faire à personne ;
La part que le respect, que l'amitié t'y donne,
Et tout ce que le sang en attire sur toi,
T'imposent de le taire une éternelle loi.