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POLYEUCTE.

Polyeucte m’appelle à cet heureux trépas ;
Je vois Néarque et lui qui me tendent les bras.
Mène, mène-moi voir tes dieux que je déteste ;
Ils n’en ont brisé qu’un, je briserai le reste.
On m’y verra braver tout ce que vous craignez,
Ces foudres impuissans qu’en leurs mains vous peignez,
Et, saintement rebelle aux lois de la naissance,
Une fois envers toi manquer d’obéissance.
Ce n’est point ma douleur que par là je fais voir ;
C’est la grâce qui parle, et non le désespoir.
Le faut-il dire encor, Félix ? je suis chrétienne ;
Affermis par ma mort ta fortune et la mienne ;
Le coup à l’un et l’autre en sera précieux,
Puisqu’il t’assure en terre en m’élevant aux cieux.


Scène VI.

FÉLIX, SÉVÈRE, PAULINE, ALBIN, FABIAN.
SÉVÈRE.

Père dénaturé, malheureux politique,
Esclave ambitieux d’une peur chimérique,
Polyeucte est donc mort ! et par vos cruautés
Vous pensez conserver vos tristes dignités !
La faveur que pour lui je vous avois offerte,
Au lieu de le sauver, précipite sa perte !
J’ai prié, menacé, mais sans vous émouvoir ;
Et vous m’avez cru fourbe, ou de peu de pouvoir !
Eh bien ! à vos dépens vous verrez que Sévère
Ne se vante jamais que de ce qu’il peut faire ;
Et par votre ruine il vous fera juger
Que qui peut bien vous perdre eût pu vous protéger.
Continuez aux dieux ce service fidèle,
Par de telles horreurs montrez-leur votre zèle.
Adieu ; mais quand l’orage éclatera sur vous,
Ne doutez point du bras dont partiront les coups.

FÉLIX.

Arrêtez-vous, seigneur, et d’une âme apaisée
Souffrez que je vous livre une vengeance aisée.