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ACTE V, SCÈNE IV.

FÉLIX.

Ainsi l’ont autrefois versé Brute et Manlie ;
Mais leur gloire en a crû, loin d’en être affoiblie ;
Et quand nos vieux héros avoient de mauvais sang,
Ils eussent, pour le perdre, ouvert leur propre flanc.

ALBIN.

Votre ardeur vous séduit ; mais quoi qu’elle vous die,
Quand vous la sentirez une fois refroidie,
Quand vous verrez Pauline, et que son désespoir
Par ses pleurs et ses cris saura vous émouvoir…

FÉLIX.

Tu me fais souvenir qu’elle a suivi ce traître,
Et que ce désespoir qu’elle fera paroître
De mes commandemens pourra troubler l’effet :
Va donc y donner ordre, et voir ce qu’elle fait ;
Romps ce que ses douleurs y donneraient d’obstacle ;
Tire-la, si tu peux, de ce triste spectacle ;
Tâche à la consoler. Va donc ; qui te retient ?

ALBIN.

Il n’en est pas besoin, seigneur, elle revient.


Scène V.

FÉLIX, PAULINE, ALBIN.
PAULINE.

Père barbare, achève, achève ton ouvrage ;
Cette seconde hostie est digne de ta rage :
Joins ta fille à ton gendre ; ose : que tardes-tu ?
Tu vois le même crime, ou la même vertu :
Ta barbarie en elle a les mêmes matières.
Mon époux en mourant m’a laissé ses lumières ;
Son sang, dont tes bourreaux viennent de me couvrir,
M’a dessillé les yeux, et me les vient d’ouvrir.
Je vois, je sais, je crois, je suis désabusée :
De ce bienheureux sang tu me vois baptisée ;
Je suis chrétienne enfin, n’est-ce point assez dit ?
Conserve en me perdant ton rang et ton crédit ;
Redoute l’empereur, appréhende Sévère :
Si tu ne veux périr, ma perte est nécessaire ;