Page:Corneille - Polyeucte, édition Masson, 1887.djvu/61

Cette page a été validée par deux contributeurs.
57
ACTE V, SCÈNE II.

Vous ne trouverez point devant lui de refuge ;
Les rois et les bergers y sont d’un même rang :
De tous les siens sur vous il vengera le sang.

FÉLIX.

Je n’en répandrai plus, et, quoi qu’il en arrive,
Dans la foi des chrétiens je souffrirai qu’on vive ;
J’en serai protecteur.

POLYEUCTE.

J’en serai protecteur.Non, non, persécutez,
Et soyez l’instrument de nos félicités :
Celle d’un vrai chrétien n’est que dans les souffrances ;
Les plus cruels tourments lui sont des récompenses.
Dieu, qui rend le centuple aux bonnes actions,
Pour comble donne encor les persécutions :
Mais ces secrets pour vous sont fâcheux à comprendre ;
Ce n’est qu’à ses élus que Dieu les fait entendre.

FÉLIX.

Je te parle sans fard, et veux être chrétien.

POLYEUCTE.

Qui peut donc retarder l’effet d’un si grand bien ?

FÉLIX.

La présence importune…

POLYEUCTE.

La présence importune…Et de qui ? de Sévère ?

FÉLIX.

Pour lui seul contre toi j’ai feint tant de colère :
Dissimule un moment jusques à son départ.

POLYEUCTE.

Félix, c’est donc ainsi que vous parlez sans fard ?
Portez à vos païens, portez à vos idoles,
Le sucre empoisonné que sèment vos paroles.
Un chrétien ne craint rien, ne dissimule rien ;
Aux yeux de tout le monde il est toujours chrétien.

FÉLIX.

Ce zèle de ta foi ne sert qu’à te séduire,
Si tu cours à la mort plutôt que de m’instruire.

POLYEUCTE.

Je vous en parlerois ici hors de saison ;