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POLYEUCTE

Allons trouver Félix ; commençons par son gendre ;
Et contentons ainsi, d’une seule action,
Et Pauline, et ma gloire et ma compassion.


ACTE CINQUIÈME.


Scène I.

FÉLIX, ALBIN, CLÉON.
FÉLIX.

Albin, as-tu bien vu la fourbe de Sévère ?
As-tu bien vu sa haine ? et vois-tu ma misère ?

ALBIN.

Je n’ai rien en lui qu’un rival généreux,
Et ne vois rien en vous qu’un père rigoureux.

FÉLIX.

Que tu discernes mal le cœur d’avec la mine ?
Dans l’âme il hait Félix et dédaigne Pauline !
Et, s’il l’aima jadis, il estime aujourd’hui
Les restes d’un rival trop indignes de lui.
Il parle en sa faveur, il me prie, il menace,
Et me perdra, dit-il, si je ne lui fais grâce ;
Tranchant du généreux, il croit m’épouvanter :
L’artifice est trop lourd pour ne pas l’éventer.
Je sais des gens de cour quelle est la politique,
J’en connois mieux que lui la plus fine pratique.
C’est en vain qu’il tempête et feint d’être en fureur :
Je vois ce qu’il prétend auprès de l’empereur.
De ce qu’il me demande il m’y feroit un crime ;
Épargnant son rival, je serois sa victime ;
Et s’il avoit affaire à quelque maladroit,
Le piége est bien tendu, sans doute il le perdroit :
Mais un vieux courtisan est un peu moins crédule ;
Il voit quand on le joue, et quand on dissimule ;
Et moi j’en ai tant vu de toutes les façons,
Qu’à lui-même au besoin j’en ferois des leçons.