Page:Corneille - Polyeucte, édition Masson, 1887.djvu/54

Cette page a été validée par deux contributeurs.
50
POLYEUCTE.

S’il vous a désunis, sa mort vous va rejoindre.
Qu’un feu jadis si beau n’en devienne pas moindre :
Rendez-lui votre cœur, et recevez sa foi :
Vivez heureux ensemble, et mourez comme moi ;
C’est le bien qu’à tous deux Polyeucte désire.
Qu’on me mène à la mort, je n’ai plus rien à dire.
Allons, gardes, c’est fait.


Scène V.

SÉVÈRE, PAULINE, FABIAN.
SÉVÈRE.

Allons, gardes, c’est fait.Dans mon étonnement,
Je suis confus pour lui de son aveuglement ;
Sa résolution a si peu de pareilles,
Qu’à peine je me fie encore à mes oreilles.
Un cœur qui vous chérit, (mais quel cœur assez bas
Auroit pu vous connoître, et ne vous chérir pas ?),
Un homme aimé de vous, sitôt qu’il vous possède,
Sans regret il vous quitte : il fait plus, il vous cède ;
Et, comme si vos feux étaient un don fatal,
Il en fait un présent lui-même à son rival !
Certes, ou les chrétiens ont d’étranges manies,
Ou leurs félicités doivent être infinies,
Puisque, pour y prétendre, ils osent rejeter
Ce que de tout l’empire il faudroit acheter.
Pour moi, si mes destins, un peu plus tôt propices,
Eussent de votre hymen honoré mes services,
Je n’aurois adoré que l’éclat de vos yeux,
J’en aurois fait mes rois, j’en aurois fait mes dieux ;
On m’auroit mis en poudre, on m’auroit mis en cendre,
Avant que…

PAULINE.

Avant que…Brisons là ; je crains de trop entendre,
Et que cette chaleur, qui sent vos premiers feux,
Ne pousse quelque suite indigne de tous deux.
Sévère, connoissez Pauline tout entière.
Mon Polyeucte touche à son heure dernière ;
Pour achever de vivre il n’a plus qu’un moment ;