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POLYEUCTE.

Et si l’on peut au ciel sentir quelques douleurs,
J’y pleurerai pour vous l’excès de vos malheurs :
Mais si, dans ce séjour de gloire et de lumière,
Ce Dieu tout juste et bon peut souffrir ma prière,
S’il y daigne écouter un conjugal amour,
Sur votre aveuglement il répandra le jour.
Seigneur, de vos bontés il faut que je l’obtienne ;
Elle a trop de vertus pour n’être pas chrétienne :
Avec trop de mérite il vous plus la former,
Pour ne vous pas connoître et ne vous pas aimer,
Pour vivre des enfers esclave infortunée,
Et sous leur triste joug mourir comme elle est née.

PAULINE.

Que dis-tu, malheureux ? qu’oses-tu souhaiter ?

POLYEUCTE.

Ce que de tout mon sang je voudrois acheter.

PAULINE.

Que plutôt…

POLYEUCTE.

Que plutôt…C’est en vain qu’on se met en défense :
Ce Dieu touche les cœurs lorsque moins on y pense.
Ce bienheureux moment n’est pas encor venu ;
Il viendra, mais le temps ne m’en est pas connu.

PAULINE.

Quittez cette chimère, et m’aimez.

POLYEUCTE.

Quittez cette chimère, et m’aimez.Je vous aime,
Beaucoup moins que mon Dieu, mais bien plus que moi-même.

PAULINE.

Au nom de cet amour, ne m’abandonnez pas.

POLYEUCTE.

Au nom de cet amour, daignez suivre mes pas.

PAULINE.

C’est peu de me quitter, tu veux donc me séduire ?

POLYEUCTE.

C’est peu d’aller au ciel, je vous y veux conduire.

PAULINE.

Imaginations !