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POLYEUCTE.

ALBIN.

Il l’a vu, mais hélas ! avec un œil d’envie.
Il brûle de le suivre, au lieu de reculer ;
Et son cœur s’affermit, au lieu de s’ébranler.

PAULINE.

Je vous le disois bien. Encore un coup, mon père,
Si jamais mon respect a pu vous satisfaire,
Si vous l’avez prisé, si vous l’avez chéri…

FÉLIX.

Vous aimez trop, Pauline, un indigne mari.

PAULINE.

Je l’ai de votre main : mon amour est sans crime ;
Il est de votre choix la glorieuse estime ;
Et j’ai, pour l’accepter, éteint le plus beau feu
Qui d’une âme bien née ait mérité l’aveu.
Au nom de cette aveugle et prompte obéissance
Que j’ai toujours rendue aux lois de la naissance,
Si vous avez pu tout sur moi, sur mon amour,
Que je puisse sur vous quelque chose à mon tour !
Par ce juste pouvoir à présent trop à craindre,
Par ces beaux sentiments qu’il m’a fallu contraindre,
Ne m’ôtez pas vos dons ; ils sont chers à mes yeux,
Et m’ont assez coûté pour m’être précieux.

FÉLIX.

Vous m’importunez trop : bien que j’aie un cœur tendre,
Je n’aime la pitié qu’au prix que j’en veux prendre ;
Employez mieux l’effort de vos justes douleurs ;
Malgré moi m’en toucher, c’est perdre et temps et pleurs ;
J’en veux être le maître, et je veux bien qu’on sache
Que je la désavoue alors qu’on me l’arrache.
Préparez-vous à voir ce malheureux chrétien,
Et faites votre effort quand j’aurai fait le mien.
Allez ; n’irritez plus un père qui vous aime,
Et tâchez d’obtenir votre époux de lui-même.
Tantôt jusqu’en ce lieu je le ferai venir :
Cependant quittez-nous, je veux l’entretenir.

PAULINE.

De grâce, permettez…