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Des mystères sacrés hautement se moquoit,
Et traitoit de mépris les dieux qu’on invoquoit.
Tout le peuple en murmure, et Félix s’en offense ;
Mais tous deux s’emportant à plus d’irrévérence :
« Quoi ! lui dit Polyeucte en élevant sa voix,
Adorez-vous des dieux ou de pierre ou de bois ? »
Ici dispensez-moi du récit des blasphèmes
Qu’ils ont vomis tous deux contre Jupiter mêmes.
L’adultère et l’inceste en étoient les plus doux.
« Oyez, dit-il ensuite, oyez, peuple ; oyez, tous :
Le Dieu de Polyeucte et celui de Néarque
De la terre et du ciel est l’absolu monarque,
Seul être indépendant, seul maître du destin,
Seul principe éternel, et souveraine fin.
C’est ce Dieu des chrétiens qu’il faut qu’on remercie
Des victoires qu’il donne à l’empereur Décie ;
Lui seul tient en sa main le succès des combats ;
Il le peut élever, il le peut mettre à bas ;
Sa bonté, son pouvoir, sa justice est immense ;
C’est lui seul qui punit, lui seul qui récompense :
Vous adorez en vain des monstres impuissans.»
Se jetant à ces mots sur le vin et l’encens,
Après en avoir mis les saints vases par terre,
Sans crainte de Félix, sans crainte du tonnerre,
D’une fureur pareille ils courent à l’autel.
Cieux ! a-t-on vu jamais, a-t-on rien vu de tel ?
Du plus puissant des dieux nous voyons la statue
Par une main impie à leurs pieds abattue,
Les mystères troublés, le temple profané,
La fuite et les clameurs d’un peuple mutiné
Qui craint d’être accablé sous le courroux céleste.
Félix… Mais le voici qui vous dira le reste.

PAULINE.

Que son visage est sombre et plein d’émotion !
Qu’il montre de tristesse et d’indignation !