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Mais quel ressentiment en témoigne mon père ?

STRATONICE.

Une secrète rage, un excès de colère,
Malgré qui, toutefois, un reste d’amitié
Montre pour Polyeucte encor quelque pitié.
Il ne veut point sur lui faire agir sa justice,
Que du traître Néarque il n’ait vu le supplice.

PAULINE.

Quoi ! Néarque en est donc ?

STRATONICE.

Quoi ! Néarque en est donc ? Néarque l’a séduit :
De leur vieille amitié c’est là l’indigne fruit.
Ce perfide tantôt, en dépit de lui-même,
L’arrachant de vos bras, le traînait au baptême.
Voilà ce grand secret et si mystérieux
Que n’en pouvoit tirer votre amour curieux.

PAULINE.

Tu me blâmois alors d’être trop importune.

STRATONICE.

Je ne prévoyois pas une telle infortune.

PAULINE.

Avant qu’abandonner mon âme à mes douleurs,
Il me faut essayer la force de mes pleurs ;
En qualité de femme ou de fille, j’espère
Qu’ils vaincront un époux, ou fléchiront un père.
Que si sur l’un et l’autre ils manquent de pouvoir,
Je ne prendrai conseil que de mon désespoir.
Apprends-moi cependant ce qu’ils ont fait au temple.

STRATONICE.

C’est une impiété qui n’eut jamais d’exemple.
Je ne puis y penser sans frémir à l’instant,
Et crains de faire un crime en vous la racontant.
Apprenez en deux mots leur brutale insolence.
Le prêtre avoit à peine obtenu du silence,
Et devers l’orient assuré son aspect,
Qu’ils ont fait éclater leur manque de respect.
À chaque occasion de la cérémonie,
À l’envi l’un et l’autre étaloit sa manie,