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POLYEUCTE.

La moitié de l’avis se trouve déjà vraie ;
J’ai cru Sévère mort, et je le vois ici.

POLYEUCTE.

Je le sais ; mais enfin j’en prends peu de souci.
Je suis dans Mélitène, et, quel que soit Sévère,
Votre père y commande, et l’on m’y considère ;
Et je ne pense pas qu’on puisse avec raison
D’un cœur tel que le sien craindre une trahison :
On m’avoit assuré qu’il vous faisoit visite,
Et je venois lui rendre un honneur qu’il mérite.

PAULINE.

Il vient de me quitter assez triste et confus ;
Mais j’ai gagné sur lui qu’il ne me verra plus.

POLYEUCTE.

Quoi ! vous me soupçonnez déjà de quelque ombrage ?

PAULINE.

Je ferois à tous trois un trop sensible outrage.
J’assure mon repos, que troublent ses regards :
La vertu la plus ferme évite les hasards ;
Qui s’expose au péril veut bien trouver sa perte :
Et pour vous en parler avec une âme ouverte,
Depuis qu’un vrai mérite a pu nous enflammer,
Sa présence toujours a droit de nous charmer.
Outre qu’on doit rougir de s’en laisser surprendre,
On souffre à résister, on souffre à s’en défendre ;
Et, bien que la vertu triomphe de ces feux,
La victoire est pénible, et le combat honteux.

POLYEUCTE.

Ô vertu trop parfaite, et devoir trop sincère,
Que vous devez coûter de regrets à Sévère !
Qu’aux dépens d’un beau feu vous me rendez heureux !
Et que vous êtes doux à mon cœur amoureux !
Plus je vois mes défauts et plus je vous contemple,
Plus j’admire…


Scène V.

POLYEUCTE, PAULINE, NÉARQUE, STRATONICE, CLÉON.
CLÉON.

Plus j’admire…Seigneur, Félix vous mande au temple ;