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ACTE II, SCÈNE.

SÉVÈRE.

Ah ! c’en est trop enfin, éclaircis-moi ce point ;
As-tu vu des froideurs quand tu l’en as priée ?

FABIAN.

Je tremble à vous le dire ; elle est…

SÉVÈRE.

Je tremble à vous le dire ; elle est…Quoi ?

FABIAN.

Je tremble à vous le dire ; elle est… Quoi ?Mariée.

SÉVÈRE.

Soutiens-moi, Fabian ; ce coup de foudre est grand,
Et frappe d’autant plus, que plus il me surprend.

FABIAN.

Seigneur, qu’est devenu ce généreux courage ?

SÉVÈRE.

La constance est ici d’un difficile usage ;
De pareils déplaisirs accablent un grand cœur ;
La vertu la plus mâle en perd toute vigueur ;
Et, quand d’un feu si beau les âmes sont éprises,
La mort les trouble moins que de telles surprises
Je ne suis plus à moi quand j’entends ce discours.
Pauline est mariée !

FABIAN.

Pauline est mariée !Oui, depuis quinze jours ;
Polyeucte, un seigneur des premiers d’Arménie,
Goûte de son hymen la douceur infinie.

SÉVÈRE.

Je ne la puis du moins blâmer d’un mauvais choix ;
Polyeucte a du nom, et sort du sang des rois :
Foibles soulagemens d’un malheur sans remède !
Pauline, je verrai qu’un autre vous possède !
Ô ciel, qui malgré moi me renvoyez au jour,
Ô sort, qui redonniez l’espoir à mon amour,
Reprenez la faveur que vous m’avez prêtée,
Et rendez-moi la mort que vous m’avez ôtée !
Voyons-la toutefois, et dans ce triste lieu
Achevons de mourir en lui disant adieu ;
Que mon cœur, chez les morts emportant son image,