Page:Corneille - Marty-Laveaux 1910 tome 1.djvu/510

Cette page n’a pas encore été corrigée

382 LA VEUVE.

Dont tu lui fais la cour et dont tu la cajoles;

Je vois que ton esprit, unique de son art,

A des naïvetés plus belles que le fard.

Que tes inventions ont des charmes étranges,

Que leur moindre incident attire des louanges,

Que par toute la France on parle de ton nom.

Et qu'il nest plus d'estime égale à ton renom.

Depuis, ma Muse tremble et n'est plus si hardie;

Une jalouse peur l'a longtemps refroidie.

Et depuis, cher rival, je serois rebuté

De ce bruit spécieux dont Paris m'a flatté.

Si cet ange mortel qui fait tant de miracles.

Et dont tous les discours passent pour des oracles,

Ce fameux cardinal, l'honneur de l'univers,

N'aimoit ce que je fais et n'écoutoit mes vers.

Sa faveur m'a rendu mon humeur ordinaire ;

La gloire où je prétends est l'honneur de lui plaire,

Et lui seul réveillant mon génie endormi

Est cause qu'il te reste un si foible ennemi.

Mais la gloire n'est pas de ces chastes maîtresses

Qui n'osent en deux lieux répandre leurs caresses ;

Cet objet de nos vœux nous peut obliger tous.

Et faire mille amants sans en faire un jaloux.

Tel je te sais connoîtreet te rendre justice,

Tel on me voit partout adorer ta Clarice.

Aussi rien n'est égal à ses moindres attraits ;

Tout ce que j'ai produit cède à ses moindres traits;

Toute veuve qu'elle est, de quoi que tu l'habilles.

Elle ternit l'éclat de nos plus belles tilles.

J'ai vu trembler Silvie, Amaranthe et Filis,

Célimène a changé, ses attraits sont pâlis ' ;

I . Ces noms sont ceux des licroïnes des pièces de théâtre qui avaient eu le plus de succès dans les années précédentes : la Silvie, tragi-comédie-pastorale de Mairet, fut représentée en 1621 ; l' Ama- ranthe, pastorale de Jean Ogier de Gombaud, en 1O25 ; la Filis de Scire, comédie-pastorale du sieur Pichou, en i63o; enfin, en citant la Célimène, Rotrou avoue sa propre défaite, car ce titre est celui d'une comédie qu'il fit représenter en 1625. (Voyez Histoire du théâtre frunçois, tome IV, p. 352, 377 et 5oo, et tome V, p. 7.)

�� �