Page:Corneille - Marty-Laveaux 1910 tome 1.djvu/389

Cette page n’a pas encore été corrigée
PRÉFACE

Pour peu de souvenir qu’on ait de Mélite, il sera fort aisé de juger, après la lecture de ce poème, que peut-être jamais deux pièces ne partirent d’une même main plus différentes et d’invention et de style. Il ne faut pas moins d’adresse à réduire un grand sujet qu’à en déduire un petit ; et si je m’étais aussi dignement acquitté de celui-ci qu’heureusement de l’autre, j’estimerais avoir, en quelque façon, approché de ce que demande Horace au poète qu’il instruit, quand il veut qu’il possède tellement ses sujets, qu’il en demeure toujours le maître, et les asservisse à soi-même, sans se laisser emporter par eux[1]. Ceux qui ont blâmé l’autre de peu d’effets auront ici de quoi se satisfaire si toutefois ils ont l’esprit assez tendu pour me suivre au théâtre, et si la quantité d’intriques et de rencontres n’accable et ne confond leur mémoire. Que si cela leur arrive, je les supplie de prendre ma justification chez le libraire, et de reconnaître par la lecture que ce n’est pas ma faute. Il faut néanmoins que j’avoue que ceux qui n’ayant vu représenter Clitandre qu’une fois, ne le comprendront

  1. Dans l'Art poétique, où les mots « au poète qu'il instruit » nous invitent à chercher cette citation, il n'y a guère qu'un passage qui ait quelqie rapport avec la pensée exprimée ici ; c'est l'hémistiqhe : cui lecta potenter erit res, qui, d'après plusieurs commentateurs, signifie que l sujet doit être choisi de manière à ne pas surpasser les forces de l'auteur et à pouvoir être gouverné, dominé par lui. Mais n'est-il possible que cette fois encore Corneille ait cité de mémoire et que confondant une idée toute morale avec un précepte littéraire, il ait eu en vue ce vers bien connu de le Ire épitre du Ier livre d'Horace (v. 19) :
    Et mihi res, non me rebus subjungere conor ?