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Puisqu’il trempe tes mains dans le sang de mon père,
Et te fait renoncer, malgré ta passion,
À l’espoir le plus doux de ma possession :
Je t’en vois cependant faire si peu de compte,
Que sans rendre combat tu veux qu’on te surmonte.
Quelle inégalité ravale ta vertu ?
Pourquoi ne l’as-tu plus, ou pourquoi l’avais-tu ?
Quoi ? n’es-tu généreux que pour me faire outrage ?
S’il ne faut m’offenser, n’as-tu point de courage ?
Et traites-tu mon père avec tant de rigueur,
Qu’après l’avoir vaincu tu souffres un vainqueur ?
Va, sans vouloir mourir, laisse-moi te poursuivre,
Et défends ton honneur, si tu ne veux plus vivre.

Don Rodrigue

Après la mort du comte, et les Mores défaits,
Faudrait-il à ma gloire encor d’autres effets ?
Elle peut dédaigner le soin de me défendre :
On sait que mon courage ose tout entreprendre,
Que ma valeur peut tout, et que dessous les cieux,
Auprès de mon honneur, rien ne m’est précieux.
Non, non, en ce combat, quoi que vous veuillez croire,
Rodrigue peut mourir sans hasarder sa gloire,
Sans qu’on l’ose accuser d’avoir manqué de cœur,
Sans passer pour vaincu, sans souffrir un vainqueur.
On dira seulement : « Il adorait Chimène ;
Il n’a pas voulu vivre et mériter sa haine ;
Il a cédé lui-même à la rigueur du sort
Qui forçait sa maîtresse à poursuivre sa mort :
Elle voulait sa tête ; et son cœur magnanime,
S’il l’en eût refusée, eût pensé faire un crime.
Pour venger son honneur il perdit son amour,
Pour venger sa maîtresse il a quitté le jour,