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Mais elle voit d’un œil bien différent du vôtre
Son sang dans une armée, et son amour dans l’autre.
Lorsque vous conserviez un esprit tout romain,
Le sien irrésolu, le sien tout incertain,
De la moindre mêlée appréhendait l’orage,
De tous les deux partis détestait l’avantage,
Au malheur des vaincus donnait toujours ses pleurs,
Et nourrissait ainsi d’éternelles douleurs.
Mais hier, quand elle sut qu’on avait pris journée,
Et qu’enfin la bataille allait être donnée,
Une soudaine joie éclatant sur son front…


SABINE.

Ah ! Que je crains, Julie, un changement si prompt !
Hier dans sa belle humeur elle entretint Valère ;
Pour ce rival, sans doute, elle quitte mon frère ;
Son esprit, ébranlé par les objets présents,
Ne trouve point d’absent aimable après deux ans.
Mais excusez l’ardeur d’une amour fraternelle ;
Le soin que j’ai de lui me fait craindre tout d’elle ;
Je forme des soupçons d’un trop léger sujet :
Près d’un jour si funeste on change peu d’objet ;
Les âmes rarement sont de nouveau blessées,
Et dans un si grand trouble on a d’autres pensées ;
Mais on n’a pas aussi de si doux entretiens,
Ni de contentements qui soient pareils aux siens.