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Vous pourriez croire une telle imposture !
Qu’ai-je dit ? Qu’ai-je fait que de vous obéir ?
Et par où jusque-là m’aurais-je pu trahir ?

Attila

Ardaric est pour vous un époux adorable.

Ildione

Votre main lui donnait ce qu’il avait d’aimable ;
Et je ne l’ai tantôt accepté pour époux
Que par cet ordre exprès que j’ai reçu de vous.
Vous aviez déjà vu qu’en dépit de ma flamme,
Pour vous faire empereur…

Attila

Vous me trompez, madame ;
Mais l’amour par vos yeux me sait si bien dompter,
Que je ferme les miens pour n’y plus résister.
N’abusez pas pourtant d’un si puissant empire :
Songez qu’il est encor d’autres biens où j’aspire,
Que la vengeance est douce aussi bien que l’amour ;
Et laissez-moi pouvoir quelque chose à mon tour.

Ildione

Seigneur, ensanglanter cette illustre journée !
Grâce, grâce du moins jusqu’après l’hyménée.
À son heureux flambeau souffrez un pur éclat,
Et laissez pour demain les maximes d’état.

Attila

Vous le voulez, madame, il faut vous satisfaire ;
Mais ce n’est que grossir d’autant plus ma colère ;
Et ce que par votre ordre elle perd de moments
Enfle l’avidité de mes ressentiments.

Honorie

Voyez, voyez plutôt, par votre exemple même,
Seigneur, jusqu’où s’aveugle un grand coeur quand il aime :
Voyez jusqu’où l’amour, qui vous ferme les yeux,
Force et dompte les rois qui résistent le mieux,
Quel empire il se fait sur l’âme la plus fière ;
Et si vous avez vu la mienne trop altière,
Voyez ce même amour immoler pleinement
Son orgueil le plus juste au salut d’un amant,
Et toute sa fierté dans mes larmes éteinte
Descendre à la prière et céder à la crainte.
Avoir su jusque-là réduire mon courroux,
Vous doit être, seigneur, un triomphe assez doux.
Que tant d’orgueil dompté suffise pour victime.
Voudriez-vous traiter votre exemple de crime,
Et quand vous adorez qui ne vous aime pas,
D’un réciproque amour condamner les appas ?

Attila

Non, princesse, il vaut mieux nous imiter l’un l’autre :
Vous suivez mon exemple, et je suivrai le vôtre.
Vous condamniez madame à l’hymen d’un sujet ;
Remplissez au lieu d’elle un si juste projet.
Je vous l’ai déjà dit ; et mon respect fidèle
À cette digne loi que vous faisiez pour elle,
N’ose prendre autre règle à punir vos mépris.
Si Valamir vous plaît, sa vie est à ce prix :
Disposez à ce prix d’une main qui m’est due.
Octar, ne perdez pas la princesse de vue.
Vous, qui me commandez de vous donner ma foi,
Madame, allons au temple ; et vous, rois, suivez-moi.


Scène V


Honorie

Tu le vois, pour toucher cet orgueilleux courage,
J’ai pleuré, j’ai prié, j’ai tout mis en usage,
Octar ; et pour tout fruit de tant d’abaissement,
Le barbare me traite encor plus fièrement.
S’il reste quelque espoir, c’est toi seul qu’il regarde.
Prendras-tu bien ton temps ? Tu commandes sa garde ;
La nuit et le sommeil vont tout mettre en ton choix ;
Et Flavie est le prix du salut de deux rois.

Octar

Ah ! Madame, Attila, depuis votre menace,
Met hors de mon pouvoir l’effet de cette audace.
Ce défiant esprit n’agit plus maintenant,
Dans toutes ses fureurs, que par mon lieutenant :
C’est par lui qu’aux deux rois il fait ôter les armes,
Et deux mots en son âme ont jeté tant d’alarmes,
Qu’exprès à votre suite il m’attache aujourd’hui,
Pour m’ôter tout moyen de m’approcher de lui.
Pour peu que je vous quitte il y va de ma vie,
Et s’il peut découvrir que j’adore Flavie..

Honorie

Il le saura de moi, si tu ne veux agir,
Infâme, qui t’en peux excuser sans rougir :
Si tu veux vivre encor, va, cherche du courage.
Tu vois ce qu’à toute heure il immole à sa rage ;
Et ta vertu, qui craint de trop paraître au jour,
Attend, les bras croisés, qu’il t’immole à son tour.
Fais périr, ou péris ; préviens, lâche, ou succombe :
Venge toute la terre, ou grossis l’hécatombe.
Si ta gloire sur toi, si l’amour ne peut rien,
Meurs en traître, et du moins sers de victime au mien.
Mais qui me rend, seigneur, le bien de votre vue ?


Scène VI


Valamir

L’impatient transport d’une joie imprévue :
Notre tyran n’est plus.

Honorie