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Qu’y trouvez-vous à dire ?
Serait-il à vos yeux indigne de l’empire ?
S’il est né sans couronne et n’eut jamais d’états,
On monte à ce grand trône encor d’un lieu plus bas.
On a vu des Césars, et même des plus braves,
Qui sortaient d’artisans, de bandoliers, d’esclaves ;
Le temps et leurs vertus les ont rendus fameux,
Et notre cher Octar a des vertus comme eux.

Honorie

Va, ne me tourne point Octar en ridicule :
Ma gloire pourrait bien l’accepter sans scrupule,
Tyran, et tu devrais du moins te souvenir
Que s’il n’en est pas digne, il peut le devenir.
Au défaut d’un beau sang, il est de grands services,
Il est des voeux soumis, il est des sacrifices,
Il est de glorieux et surprenants effets,
Des vertus de héros, et même des forfaits.
L’exemple y peut beaucoup. Instruit par tes maximes,
Il s’est fait de ton ordre une habitude aux crimes :
Comme ta créature, il doit te ressembler.
Quand je l’enhardirai, commence de trembler :
Ta vie est en mes mains, dès qu’il voudra me plaire,
Et rien n’est sûr pour toi, si je veux qu’il espère.
Ton rival entre, adieu : délibère avec lui
Si ce cher Octar m’aime, ou sera ton appui.


Scène IV


Attila

Seigneur, sur ce grand choix je cesse d’être en peine :
J’épouse dès ce soir la princesse romaine,
Et n’ai plus qu’à prévoir à qui plus sûrement
Je puis confier l’autre et son ressentiment.
Le roi des Bourguignons, par ambassade expresse,
Pour Sigismond, son fils, voulait cette princesse ;
Mais nos ambassadeurs furent mieux écoutés.
Pourrait-il nous donner toutes nos sûretés ?

Ardaric

Son état sert de borne à ceux de Mérouée ;
La partie entre eux deux serait bientôt nouée ;
Et vous verriez armer d’une pareille ardeur
Un mari pour sa femme, un frère pour sa soeur :
L’union en serait trop facile et trop grande.

Attila

Celui des Visigoths faisait même demande.
Comme de Mérouée il est plus écarté,
Leur union aurait moins de facilité :
Le Bourguignon d’ailleurs sépare leurs provinces,
Et servirait pour nous de barre à ces deux princes.

Ardaric

Oui ; mais bientôt lui-même entre eux deux écrasé
Leur ferait à se joindre un chemin trop aisé ;
Et ces deux rois, par là maîtres de la contrée,
D’autant plus fortement en défendraient l’entrée,
Qu’ils auraient plus à perdre, et qu’un juste courroux
N’aurait plus tant de chefs à liguer contre vous.
La princesse Ildione est orgueilleuse et belle ;
Il lui faut un mari qui réponde mieux d’elle,
Dont tous les intérêts aux vôtres soient soumis,
Et ne le pas choisir parmi vos ennemis.
D’une fière beauté la haine opiniâtre
Donne à ce qu’elle hait jusqu’au bout à combattre ;
Et pour peu que la veuille écouter un époux…

Attila

Il lui faut donc, seigneur, ou Valamir, ou vous.
La pourriez-vous aimer ? Parlez sans flatterie.
J’apprends que Valamir est aimé d’Honorie ;
Il peut de mon hymen concevoir quelque ennui,
Et je m’assurerais sur vous plus que sur lui.

Ardaric

C’est m’honorer, seigneur, de trop de confiance.

Attila

Parlez donc, pourriez-vous goûter cette alliance ?

Ardaric

Vous savez que vous plaire est mon plus cher souci.

Attila

Qu’on cherche la princesse, et qu’on l’amène ici :
Je veux que de ma main vous receviez la sienne.
Mais dites-moi, de grâce, attendant qu’elle vienne,
Par où me voulez-vous assurer votre foi ?
Et que seriez-vous prêt d’entreprendre pour moi ?
Car enfin elle est belle, elle peut tout séduire,
Et vous forcer vous-même à me vouloir détruire.

Ardaric

Faut-il vous immoler l’orgueil de Torrismond ?
Faut-il teindre l’Arar du sang de Sigismond ?
Faut-il mettre à vos pieds et l’un et l’autre trône ?

Attila

Ne dissimulez point, vous aimez Ildione,
Et proposez bien moins ces glorieux travaux
Contre mes ennemis que contre vos rivaux.
Ce prompt emportement et ces subites haines
Sont d’un amour jaloux les preuves trop certaines :
Les soins de cet amour font ceux de ma grandeur ;
Et si vous n’aimiez pas, vous auriez moins d’ardeur.
Voyez comme un rival est soudain haïssable,
Comme vers notre amour ce nom le rend coupable,
Comme sa perte est juste encor qu’il n’ose rien ;
Et sans aller si loin, délivrez-moi du mien.
Différez à punir une offense incertaine,
Et servez ma colère avant que votre haine.