Jalouse du bonheur, et non pas de l’objet.
Attila vient, madame.
Eh bien ! Faisons connaître
Que le sang des Césars ne souffre point de maître,
Et peut bien refuser de pleine autorité
Ce qu’une autre refuse avec témérité.
Scène III
Tout s’apprête, madame, et ce grand hyménée
Peut dans une heure ou deux terminer la journée,
Mais sans vous y contraindre ; et je ne viens que voir
Si vous avez mieux vu quel est votre devoir.
Mon devoir est, seigneur, de soutenir ma gloire,
Sur qui va s’imprimer une tache trop noire,
Si votre illustre amour pour son premier effet
Ne venge hautement l’outrage qu’on lui fait.
Puis-je voir sans rougir qu’à la belle Ildione
Vous demandiez congé de m’offrir votre trône,
Que… ?
Toujours Ildione, et jamais Attila !
Si vous me préférez, seigneur, punissez-la :
Prenez mes intérêts, et pressez votre flamme
De remettre en honneur le nom de votre femme.
Ildione le traite avec trop de mépris ;
Souffrez-en de pareils, ou rendez-lui son prix.
À quel droit voulez-vous qu’un tel manque d’estime,
S’il est gloire pour elle, en moi devienne un crime ;
Qu’après que nos refus ont tous deux éclaté,
Le mien soit punissable où le sien est flatté ;
Qu’elle brave à vos yeux ce qu’il faut que je craigne,
Et qu’elle me condamne à ce qu’elle dédaigne ?
Pour vous justifier mes ordres et mes voeux,
Je croyais qu’il suffît d’un simple : " je le veux ; "
Mais voyez, puisqu’il faut mettre tout en balance,
D’Ildione et de vous qui m’oblige ou m’offense.
Quand son refus me sert, le vôtre me trahit ;
Il veut me commander, quand le sien m’obéit :
L’un est plein de respect, l’autre est gonflé d’audace ;
Le vôtre me fait honte, et le sien me fait grâce.
Faut-il après cela qu’aux dépens de son sang
Je mérite l’honneur de vous mettre en mon rang ?
Ne peut-on se venger à moins qu’on assassine ?
Je ne veux point sa mort, ni même sa ruine :
Il est des châtiments plus justes et plus doux,
Qui l’empêcheraient mieux de triompher de nous.
Je dis de nous, seigneur, car l’offense est commune,
Et ce que vous m’offrez des deux n’en ferait qu’une.
Ildione, pour prix de son manque de foi,
Dispose arrogamment et de vous et de moi !
Pour prix de la hauteur dont elle m’a bravée,
À son heureux amant sa main est réservée,
Avec qui, satisfaite, elle goûte l’appas
De m’ôter ce que j’aime, et me mettre en vos bras !
Quel est-il, cet amant ?
Ignorez-vous encore
Qu’elle adore Ardaric, et qu’Ardaric l’adore ?
Qu’on m’amène Ardaric Mais de qui savez-vous…
C’est une vision de mes soupçons jaloux ;
J’en suis mal éclaircie, et votre orgueil l’avoue,
Et quand elle me brave, et quand elle vous joue ;
Même, s’il faut vous croire, on ne vous sert pas mal
Alors qu’on vous dédaigne en faveur d’un rival.
D’Ardaric et de moi telle est la différence,
Qu’elle en punit assez la folle préférence.
Quoi ? S’il peut moins que vous, ne lui volez-vous pas
Ce pouvoir usurpé sur ses propres soldats ?
Un véritable roi qu’opprime un sort contraire,
Tout opprimé qu’il est, garde son caractère ;
Ce nom lui reste entier sous les plus dures lois :
Il est dans les fers même égal aux plus grands rois ;
Et la main d’Ardaric suffit à ma rivale
Pour lui donner plein droit de me traiter d’égale.
Si vous voulez punir l’affront qu’elle nous fait,
Réduisez-la, seigneur, à l’hymen d’un sujet.
Ne cherchez point pour elle une plus dure peine
Que de voir votre femme être sa souveraine ;
Et je pourrai moi-même alors vous demander
Le droit de m’en servir et de lui commander.
Madame, je saurai lui trouver un supplice.
Agréez cependant pour vous même justice ;
Et s’il faut un sujet à qui dédaigne un roi,
Choisissez dans une heure, ou d’Octar, ou de moi.
D’Octar, ou…
Les grands coeurs parlent avec franchise,
C’est une vérité que vous m’avez apprise :
Songez donc sans murmure à cet illustre choix,
Et remerciez-moi de suivre ainsi vos lois.
Me proposer Octar !