Page:Corneille - Œuvres complètes Didot 1855 tome 2.djvu/212

Cette page n’a pas encore été corrigée

Allez, et du moins apprenez à parler.

Honorie

Apprends, apprends toi-même à changer de langage,
Lorsqu’au sang des Césars ta parole t’engage.

Attila

Nous en pourrons changer avant la fin du jour.

Honorie

Fais ce que tu voudras, tyran, j’aurai mon tour.


ACTE IV


Scène I


Honorie

Allez, servez-moi bien. Si vous aimez Flavie,
Elle sera le prix de m’avoir bien servie :
J’en donne ma parole ; et sa main est à vous,
Dès que vous m’obtiendrez Valamir pour époux.

Octar

Je voudrais le pouvoir : j’assurerais, madame,
Sous votre Valamir mes jours avec ma flamme.
Bien qu’Attila me traite assez confidemment,
Ils dépendent sous lui d’un malheureux moment :
Il ne faut qu’un soupçon, un dégoût, un caprice,
Pour en faire à sa haine un soudain sacrifice ;
Ce n’est pas un esprit que je porte où je veux.
Faire un peu plus de pente au penchant de ses voeux,
L’attacher un peu plus au parti qu’ils choisissent,
Ce n’est rien qu’avec moi deux mille autres ne puissent ;
Mais proposer de front, ou vouloir doucement
Contre ce qu’il résout tourner son sentiment,
Combattre sa pensée en faveur de la vôtre,
C’est ce que nous n’osons, ni moi, ni pas un autre ;
Et si je hasardais ce contre-temps fatal,
Je me perdrais, madame, et vous servirais mal.

Honorie

Mais qui l’attache à moi, quand pour l’autre il soupire ?

Octar

La mort d’Aétius et vos droits sur l’empire.
Il croit s’en voir par là les chemins aplanis ;
Et tous autres souhaits de son coeur sont bannis.
Il aime à conquérir, mais il hait les batailles :
Il veut que son nom seul renverse les murailles ;
Et plus grand politique encor que grand guerrier,
Il tient que les combats sentent l’aventurier.
Il veut que de ses gens le déluge effroyable
Atterre impunément les peuples qu’il accable ;
Et prodigue de sang, il épargne celui
Que tant de combattants exposeraient pour lui.
Ainsi n’espérez pas que jamais il relâche,
Que jamais il renonce à ce choix qui vous fâche.
Si pourtant je vois jour à plus que je n’attends,
Madame, assurez-vous que je prendrai mon temps.


Scène II


Flavie

Ne vous êtes-vous point un peu trop déclarée,
Madame ? Et le chagrin de vous voir préférée
Étouffe-t-il la peur que marquaient vos discours
De rendre hommage au sang d’un roi de quatre jours ?

Honorie

Je te l’avais bien dit, que mon âme incertaine
De tous les deux côtés attendait même gêne,
Flavie ; et de deux maux qu’on craint également
Celui qui nous arrive est toujours le plus grand,
Celui que nous sentons devient le plus sensible.
D’un choix si glorieux la honte est trop visible ;
Ildione a su l’art de m’en faire un malheur :
La gloire en est pour elle, et pour moi la douleur ;
Elle garde pour soi tout l’effet du mérite,
Et me livre avec joie aux ennuis qu’elle évite.
Vois avec quel insulte et de quelle hauteur
Son refus en mes mains rejette un si grand coeur,
Cependant que ravie elle assure à son âme
La douceur d’être toute à l’objet de sa flamme ;
Car je ne doute point qu’elle n’ait de l’amour.
Ardaric qui s’attache à la voir chaque jour,
Les respects qu’il lui rend, et les soins qu’il se donne…

Flavie

J’ose vous dire plus, Attila l’en soupçonne :
Il est fier et colère ; et s’il sait une fois
Qu’Ildione en secret l’honore de son choix,
Qu’Ardaric ait sur elle osé jeter la vue,
Et briguer cette foi qu’à lui seul il croit due,
Je crains qu’un tel espoir, au lieu de s’affermir…

Honorie

Que n’ai-je donc mieux tu que j’aimais Valamir !
Mais quand on est bravée et qu’on perd ce qu’on aime,
Flavie, est-on sitôt maîtresse de soi-même ?
D’Attila, s’il se peut, tournons l’emportement
Ou contre ma rivale, ou contre son amant ;
Accablons leur amour sous ce que j’appréhende ;
Promettons à ce prix la main qu’on nous demande ;
Et faisons que l’ardeur de recevoir ma foi
L’empêche d’être ici plus heureuse que moi.
Renversons leur triomphe. Étrange frénésie !
Sans aimer Ardaric, j’en conçois jalousie !
Mais je me venge, et suis, en ce juste projet,