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Affectent de montrer une tranquillité…

Attila

De leur tente à la mienne ils ont la liberté.

Octar

Oui, mais seuls, et sans suite ; et quant aux deux princesses,
Que de leurs actions on laisse encor maîtresses,
On ne permet d’entrer chez elles qu’à leurs gens ;
Et j’en bannis par là ces rois et leurs agents.
N’en ayez plus, seigneur, aucune inquiétude :
Je les fais observer avec exactitude ;
Et de quelque côté qu’elles tournent leurs pas,
J’ai des yeux tous placés qui ne les manquent pas :
On vous rendra bon compte et des deux rois et d’elles.

Attila

Il suffit sur ce point : apprends d’autres nouvelles.
Ce grand chef des Romains, l’illustre Aétius,
Le seul que je craignais, Octar, il ne vit plus.

Octar

Qui vous en a défait ?

Attila

Valentinian même.
Craignant qu’il n’usurpât jusqu’à son diadème,
Et pressé des soupçons où j’ai su l’engager,
Lui-même, à ses yeux même, il l’a fait égorger.
Rome perd en lui seul plus de quatre batailles :
Je me vois l’accès libre au pied de ses murailles ;
Et si j’y fais paraître Honorie et ses droits,
Contre un tel empereur j’aurai toutes les voix :
Tant l’effroi de mon nom, et la haine publique
Qu’attire sur sa tête une mort si tragique,
Sauront faire aisément, sans en venir aux mains,
De l’époux d’une soeur un maître des Romains.

Octar

Ainsi donc votre choix tombe sur Honorie ?

Attila

J’y fais ce que je puis, et ma gloire m’en prie ;
Mais d’ailleurs Ildione a pour moi tant d’attraits,
Que mon coeur étonné flotte plus que jamais.
Je sens combattre encor dans ce coeur qui soupire
Les droits de la beauté contre ceux de l’empire.
L’effort de ma raison qui soutient mon orgueil
Ne peut non plus que lui soutenir un coup d’oeil ;
Et quand de tout moi-même il m’a rendu le maître,
Pour me rendre à mes fers elle n’a qu’à paraître.
Ô beauté, qui te fais adorer en tous lieux,
Cruel poison de l’âme, et doux charme des yeux,
Que devient, quand tu veux, l’autorité suprême,
Si tu prends malgré moi l’empire de moi-même,
Et si cette fierté qui fait partout la loi
Ne peut me garantir de la prendre de toi ?
Va la trouver pour moi, cette beauté charmante ;
Du plus utile choix donne-lui l’épouvante ;
Pour l’obliger à fuir, peins-lui bien tout l’affront
Que va mon hyménée imprimer sur son front.
Ose plus : fais-lui peur d’une prison sévère
Qui me réponde ici du courroux de son frère,
Et retienne tous ceux que l’espoir de sa foi
Pourrait en un moment soulever contre moi.
Mais quelle âme en effet n’en serait pas séduite ?
Je vois trop de périls, Octar, en cette fuite :
Ses yeux, mes souverains, à qui tout est soumis,
Me sauraient d’un coup d’oeil faire trop d’ennemis.
Pour en sauver mon coeur prends une autre manière.
Fais-m’en haïr, peins-moi d’une humeur noire et fière ;
Dis-lui que j’aime ailleurs ; et fais-lui prévenir
La gloire qu’Honorie est prête d’obtenir.
Fais qu’elle me dédaigne, et me préfère un autre
Qui n’ait pour tout pouvoir qu’un faible emprunt du nôtre :
Ardaric, Valamir, ne m’importe des deux.
Mais voir en d’autres bras l’objet de tous mes voeux !
Vouloir qu’à mes yeux même un autre le possède !
Ah ! Le mal est encor plus doux que le remède.
Dis-lui, fais-lui savoir…

Octar

Quoi, seigneur ?

Attila

Je ne sai :
Tout ce que j’imagine est d’un fâcheux essai.

Octar

À quand remettez-vous, après tout, d’en résoudre ?

Attila

Octar, je l’aperçois. Quel nouveau coup de foudre !
Ô raison confondue, orgueil presque étouffé,
Avant ce coup fatal que n’as-tu triomphé !


Scène II


Attila

Venir jusqu’en ma tente enlever mes hommages,
Madame, c’est trop loin pousser vos avantages :
Ne vous suffit-il point que le coeur soit à vous ?

Ildione

C’est de quoi faire naître un espoir assez doux.
Ce n’est pas toutefois, seigneur, ce qui m’amène :
Ce sont des nouveautés dont j’ai lieu d’être en peine.
Votre garde est doublée, et par un ordre exprès
Je vois ici deux rois observés de fort près.

Attila

Prenez-vous intérêt ou pour l’un ou pour l’autre ?

Ildione

Mon intérêt, seigneur, c’est d’avoir part au vôtre :
J’ai droit en vos périls de m’en mettre en souci,
Et de plus, je me trompe, ou l’on m’observe aussi.
Vous serais-je suspecte ? Et de quoi ?

Attila

D’être aimée.
Madame, vos attraits, dont j’ai l’âme charmée,
Si j’en crois l’apparence, ont blessé plus d’un roi ;