Qu’un mutuel amour est un triste avantage,
Quand ce que nous aimons d’un autre est le partage !
Cependant le tyran prendra pour attentat
Cet amour qui fait seul tant de raisons d’état.
Nous n’avons que trop vu jusqu’où va sa colère,
Qui n’a pas épargné le sang même d’un frère,
Et combien après lui de rois ses alliés
À son orgueil barbare il a sacrifiés.
Les peuples qui suivaient ces illustres victimes
Suivent encor sous lui l’impunité des crimes ;
Et ce ravage affreux qu’il permet aux soldats
Lui gagne tant de coeurs, lui donne tant de bras,
Que nos propres sujets sortis de nos provinces
Sont en dépit de nous plus à lui qu’à leurs princes.
Il semble à ses discours déjà nous soupçonner,
Et ce sont des soupçons qu’il nous faut détourner.
À ce refus qu’il veut disposons ma princesse.
Pour y porter la mienne il faudra peu d’adresse.
Si vous persuadez, quel malheur est le mien !
Et si l’on vous en croit, puis-je espérer plus rien ?
AH ! QUE NE POUVONS-NOUS ÊTRE HEUREUX L’UN ET L’AUTRE !
Ah ! Que n’est mon bonheur plus compatible au vôtre !
Allons des deux côtés chacun faire un effort.
Allons, et du succès laissons-en faire au sort.
ACTE II
Scène I
Je ne m’en défends point : oui, madame, Octar m’aime ;
Tout ce que je vous dis, je l’ai su de lui-même.
Ils sont rois, mais c’est tout : ce titre sans pouvoir
N’a rien presque en tous deux de ce qu’il doit avoir ;
Et le fier Attila chaque jour fait connaître
Que s’il n’est pas leur roi, du moins il est leur maître,
Et qu’ils n’ont en sa cour le rang de ses amis
Qu’autant qu’à son orgueil ils s’y montrent soumis.
Tous deux ont grand mérite, et tous deux grand courage ;
Mais ils sont, à vrai dire, ici comme en otage,
Tandis que leurs soldats en des camps éloignés
Prennent l’ordre sous lui de gens qu’il a gagnés ;
Et si de le servir leurs troupes n’étaient prêtes,
Ces rois, tous rois qu’ils sont, répondraient de leurs têtes.
Son frère aîné Vléda, plus rempli d’équité,
Les traitait malgré lui d’entière égalité ;
Il n’a pu le souffrir, et sa jalouse envie,
Pour n’avoir plus d’égaux, s’est immolé sa vie.
Le sang qu’après avoir mis ce prince au tombeau,
On lui voit chaque jour distiller du cerveau,
Punit son parricide, et chaque jour vient faire
Un tribut étonnant à celui de ce frère :
Suivant même qu’il a plus ou moins de courroux,
Ce sang forme un supplice ou plus rude ou plus doux,
S’ouvre une plus féconde ou plus stérile veine ;
Et chaque emportement porte avec lui sa peine.
Que me sert donc qu’on m’aime, et pourquoi m’engager
À souffrir un amour qui ne peut me venger ?
L’insolent Attila me donne une rivale ;
Par ce choix qu’il balance il la fait mon égale ;
Et quand pour l’en punir je crois prendre un grand roi,
Je ne prends qu’un grand nom qui ne peut rien pour moi.
Juge que de chagrins au coeur d’une princesse
Qui hait également l’orgueil et la faiblesse ;
Et de quel oeil je puis regarder un amant
Qui n’aura que pitié de mon ressentiment,
Qui ne saura qu’aimer, et dont tout le service
Ne m’assure aucun bras à me faire justice.
Jusqu’à Rome Attila m’envoie offrir sa foi,
Pour douter dans son camp entre Ildione et moi.
Hélas ! Flavie, hélas ! Si ce doute m’offense,
Que doit faire une indigne et haute préférence ?
Et n’est-ce pas alors le dernier des malheurs
Qu’un éclat impuissant d’inutiles douleurs ?
Prévenez-le, madame ; et montrez à sa honte
Combien de tant d’orgueil vous faites peu de conte.
La bravade est aisée, un mot est bientôt dit :
Mais où fuir un tyran que la bravade aigrit ?
Retournerai-je à Rome, où j’ai laissé mon frère
Enflammé contre moi de haine et de colère,
Et qui, sans la terreur d’un nom si redouté,
Jamais n’eût mis de borne à ma captivité ?
Moi qui prétends pour dot la moitié de l’empire…
Ce serait d’un malheur vous jeter dans un pire.
Ne vous emportez pas contre vous jusque-là :
Il est d’autres moyens de braver Attila
Épousez Valamir
Est-