Page:Corneille - Œuvres complètes Didot 1855 tome 2.djvu/182

Cette page n’a pas encore été corrigée

Je ne suis point surpris qu’à ces deux hyménées
Vous refusiez, Seigneur, votre consentement :
J’aurais eu tort d’attendre un meilleur traitement
Pour le sang odieux dont mes filles sont nées.
Il est le sang d’Hercule en elles comme en vous,
Et méritait par là quelque destin plus doux ;
Mais s’il vous peut donner un titre légitime,
Pour être leur maître et leur roi,
C’est pour l’une et pour l’autre une espèce de crime
Que de l’avoir reçu de moi.
J’avais cru toutefois que l’exil volontaire
Où l’amour paternel près d’elles m’eût réduit,
Moi qui de mes travaux ne vois plus autre fruit
Que le malheur de vous déplaire,
Comme il délivrerait vos yeux
D’une insupportable présence,
À mes jours presque usés obtiendrait la licence
D’aller finir sous d’autres cieux.
C’était là mon dessein ; mais cette même envie,
Qui me fait près de vous un si malheureux sort,
Ne saurait endurer ni l’éclat de ma vie,
Ni l’obscurité de ma mort.

agésilas

Ce n’est pas d’aujourd’hui que l’envie et la haine
Ont persécuté les héros.
Hercule en sert d’exemple, et l’histoire en est pleine,
Nous ne pouvons souffrir qu’ils meurent en repos.
Cependant cet exil, ces retraites paisibles,
Cet unique souhait d’y terminer leurs jours,
Sont des mots bien choisis à remplir leurs discours :
Ils ont toujours leur grâce, ils sont toujours plausibles ;
Mais ils ne sont pas vrais toujours ;
Et souvent des périls, ou cachés ou visibles,
Forcent notre prudence à nous mieux assurer
Qu’ils ne veulent se figurer.
Je ne m’étonne point qu’avec tant de lumières
Vous ayez prévu mes refus ;
Mais je m’étonne fort que les ayant prévus,
Vous n’en ayez pu voir les raisons bien entières.
Vous êtes un grand homme, et de plus mécontent :
J’avouerai plus encor, vous avez lieu de l’être.
Ainsi de ce repos où votre ennui prétend
Je dois prévoir en roi quel désordre peut naître,
Et regarde en quels lieux il vous plaît de porter
Des chagrins qu’en leur temps on peut voir éclater.
Ceux que prend pour exil ou choisit pour asile
Ce dessein d’une mort tranquille,
Des Perses et des Grecs séparent les états.
L’assiette en est heureuse, et l’accès difficile ;
Leurs maîtres ont du cœur, leurs peuples ont des bras ;
Ils viennent de nous joindre avec une puissance
À beaucoup espérer, à craindre beaucoup d’eux ;
Et c’est mettre en leurs mains une étrange balance,
Que de mettre à leur tête un guerrier si fameux.
C’est vous qui les donnez l’un et l’autre à la Grèce :
L’un fut ami du Perse, et l’autre son sujet.
Le service est bien grand, mais aussi je confesse
Qu’on peut ne pas bien voir tout le fond du projet.
Votre intérêt s’y mêle en les prenant pour gendres ;
Et si par des liens et si forts et si tendres
Vous pouvez aujourd’hui les attacher à vous,
Vous vous les donnez plus qu’à nous.
Si malgré le secours, si malgré les services
Qu’un ami doit à l’autre, un sujet à son roi,
Vous les avez tous deux arrachés à leur foi,
Sans aucun droit sur eux, sans aucuns bons offices,
Avec quelle facilité
N’immoleront-ils point une amitié nouvelle
À votre courage irrité,
Quand vous ferez agir toute l’autorité
De l’amour conjugale et de la paternelle,
Et que l’occasion aura d’heureux moments
Qui flattent vos ressentiments ?
Vous ne nous laissez aucun gage :
Votre sang tout entier passe avec vous chez eux.
Voyez donc ce projet comme je l’envisage,
Et dites si pour nous il n’a rien de douteux.
Vous avez jusqu’ici fait paraître un vrai zèle,
Un cœur si généreux, une âme si fidèle,
Que par toute la Grèce on vous loue à l’envi ;
Mais le temps quelquefois inspire une autre envie.
Comme vous, Thémistocle avait fort bien servi,
Et dans la cour de Perse il a fini sa vie.

lysander

Si c’est avec raison que je suis mécontent,
Si vous-même avouez que j’ai lieu de me plaindre,
Et si jusqu’à ce point on me croit important
Que mes ressentiments puissent vous être à craindre,
Oserais-je vous demander
Ce que vous a fait Lysander
Pour leur donner ici chaque jour de quoi naître,
Seigneur ? Et s’il est vrai qu’un homme tel que moi,
Quand il est mécontent, peut desservir son roi,
Pourquoi me forcez-vous à l’être ?
Quelque avis que je donne, il n’est point écouté ;
Quelque emploi que j’embrasse, il m’est soudain ôté :
Me choisir pour appui, c’est courir à sa perte.
Vous changez en tous lieux les ordres que j’ai mis ;
Et comme s’il fallait agir à guerre ouverte,
Vous détruisez tous mes amis,