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C’est l’ordre ; et je lui garde un cœur assez fidèle
Pour en subir toutes les lois ;
Mais pour régler ma destinée,
Si vous vous abaissiez jusqu’à prendre ma voix,
Vous arrêteriez votre choix
Sur une tête couronnée,
Et ne m’offririez que des rois.

lysander

C’est mettre un peu haut ta conquête.

aglatide

La couronne, Seigneur, orne bien une tête.
Je me la figurais sur celle de ma sœur,
Lorsque Cotys devait l’y mettre ;
Et quand j’en contemplais la gloire et la douceur,
Que je ne pouvais me promettre,
Un peu de jalousie et de confusion
Mutinait mes désirs et me soulevait l’âme ;
Et comme en cette occasion
Mon devoir pour agir n’attendait point ma flamme…

elpinice

La gloire d’obéir à votre grand regret
Vous faisait pester en secret :
C’est l’ordre ; et du devoir la scrupuleuse idée…

aglatide

Que dites-vous, ma sœur ? Qu’osez-vous hasarder,
Vous qui tantôt… ?

elpinice

Ma sœur, laissez-moi vous aider,
Ainsi que vous m’avez aidée.

aglatide

Pour bien m’aider à dire ici mes sentiments,
Vous vous prenez trop mal aux vôtres ;
Et si je suis jamais réduite aux truchements,
Il m’en faudra bien chercher d’autres.
Seigneur, quoi qu’il en soit, voilà quelle je suis.
J’acceptais Spitridate avec quelques ennuis ;
De ce petit chagrin le ciel m’a dégagée,
Sans que mon âme soit changée.
Mon devoir règne encor sur mon ambition :
Quoi que vous m’ordonniez, j’obéirai sans peine ;
Mais de mon inclination,
Je mourrai fille, ou vivrai reine.

elpinice

Achevez donc, ma sœur : dites qu’Agésilas…

aglatide

Ah ! Seigneur, ne l’écoutez pas :
Ce qu’elle vous veut dire est une bagatelle ;
Et même, s’il le faut, je la dirai mieux qu’elle.

lysander

Dis donc. Agésilas…

aglatide

M’aimait jadis un peu.
Du moins lui-même à Sparte il m’en fit confidence ;
Et s’il me disait vrai, sa noble impatience
De vous en demander l’aveu
N’attendait qu’après l’hyménée
De cette aimable et chère aînée.
Mais s’il attendait là que mon tour arrivé
Autorisât à ma conquête
La flamme qu’en réserve il tenait toute prête,
Son amour est encore ici plus réservé ;
Et soit que dans Éphèse un autre objet me passe,
Soit que par complaisance il cède à son rival,
Il me fait à présent la grâce
De ne m’en dire bien ni mal.

lysander

D’un pareil changement ne cherche point la cause :
Sa haine pour ton père à cet amour s’oppose ;
Mais n’importe, il est bon que j’en sois averti.
J’agirai d’autre sorte avec cette lumière ;
Et suivant qu’aujourd’hui nous l’aurons plus entière,
Nous verrons à prendre parti.


Scène VII

Elpinice, Aglatide
elpinice

Ma sœur, je vous admire, et ne saurais comprendre
Cet inépuisable enjouement,
Qui d’un chagrin trop juste a de quoi vous défendre,
Quand vous êtes si près de vous voir sans amant.

aglatide

Il est aisé pourtant d’en deviner les causes.
Je sais comme il faut vivre, et m’en trouve fort bien.
La joie est bonne à mille choses,
Mais le chagrin n’est bon à rien.
Ne perds-je pas assez, sans doubler l’infortune,
Et perdre encor le bien d’avoir l’esprit égal ?
Perte sur perte est importune,
Et je m’aime un peu trop pour me traiter si mal.
Soupirer quand le sort nous rend une injustice,
C’est lui prêter une aide à nous faire un supplice.
Pour moi, qui ne lui puis souffrir tant de pouvoir,
Le bien que je me veux met sa haine à pis faire.
Mais allons rejoindre mon père :
J’ai quelque chose encore à lui faire savoir.


ACTE III


Scène I

Agésilas, Lysander, Xénoclès
lysander