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Ou j’aigris puissamment ce rival contre lui.
J’ai même à souhaiter que son feu se déclare.
Comme de notre Sparte il choquera les lois,
C’est une occasion que lui-même il prépare,
Et qui peut la résoudre à mieux choisir ses rois.
Nous avons trop longtemps asservi sa couronne
À la vaine splendeur du sang ;
Il est juste à son tour que la vertu la donne,
Et que le seul mérite ait droit à ce haut rang.
Ma ligue est déjà forte, et ta harangue est prête
À faire éclater la tempête,
Sitôt qu’il aura mis ma patience à bout.
Si pourtant je voyais sa haine enfin bornée
Ne mettre aucun obstacle à ce double hyménée,
Je crois que je pourrais encore oublier tout.
En perdant cet ingrat, je détruis mon ouvrage ;
Je vois dans sa grandeur le prix de mon courage,
Le fruit de mes travaux, l’effet de mon crédit.
Un reste d’amitié tient mon âme en balance :
Quand je veux le haïr je me fais violence,
Et me force à regret à ce que je t’ai dit.
Il faut, il faut enfin qu’avec lui je m’explique,
Que j’en sache qui peut causer
Cette haine si lâche, et qu’il rend si publique,
Et fasse un digne effort à le désabuser.

cléon

Il n’appartient qu’à vous de former ces pensées ;
Mais vous ne songez point avec quels sentiments
Vos deux filles intéressées
Apprendront de tels changements.

lysander

Aglatide est d’humeur à rire de sa perte :
Son esprit enjoué ne s’ébranle de rien.
Pour l’autre, elle a, de vrai, l’âme un peu moins ouverte,
Mais elle n’eut jamais de vouloir que le mien.
Ainsi je me tiens sûr de leur obéissance.

cléon

Quand cette obéissance a fait un digne choix,
Le cœur, tombé par là sous une autre puissance,
N’obéit pas toujours une seconde fois.

lysander

Les voici : laisse-nous, afin qu’avec franchise
Leurs âmes s’en ouvrent à moi.


Scène VI

Lysander, Elpinice, Agaltide
lysander

J’apprends avec quelque surprise,
Mes filles, qu’on vous manque à toutes deux de foi :
Cotys aime en secret une autre qu’Elpinice,
Spitridate n’en fait pas moins.

elpinice

Si l’on nous fait quelque injustice,
Seigneur, notre devoir s’en remet à vos soins.
Je ne sais qu’obéir.

aglatide

J’en sais donc davantage :
Je sais que Spitridate adore d’autres yeux ;
Je sais que c’est ma sœur à qui va cet hommage,
Et quelque chose encor qu’elle vous dirait mieux.

elpinice

Ma sœur, qu’aurais-je à dire ?

aglatide

À quoi bon ce mystère ?
Dites ce qu’à ce nom le cœur vous dit tout bas,
Ou je dirai tout haut qu’il ne vous déplaît pas.

elpinice

Moi, je pourrais l’aimer, et sans l’ordre d’un père !

aglatide

Vous ne savez que c’est d’aimer ou de haïr,
Mais vous seriez pour lui fort aise d’obéir.

elpinice

Qu’il faut souffrir de vous, ma sœur !

aglatide

Le grand supplice
De voir qu’en dépit d’elle on lui rend du service !

lysander

Rendez-lui la pareille. Aime-t-elle Cotys ?
Et s’il fallait changer entre vous de partis…

aglatide

Je n’ai pas besoin d’interprète,
Et vous en dirai plus, Seigneur, qu’elle n’en sait.
Cotys pourrait me plaire, et plairait en effet,
Si pour toucher son cœur j’étais assez bien faite ;
Mais je suis fort trompée, ou cet illustre cœur
N’est pas plus à moi qu’à ma sœur.

lysander

Peut-être ce malheur d’assez près te menace.

aglatide

J’en connais plus de vingt qui mourraient en ma place,
Ou qui sauraient du moins hautement quereller
L’injustice de la fortune ;
Mais pour moi, qui n’ai pas une âme si commune,
Je sais l’art de m’en consoler.
Il est d’autres rois dans l’Asie
Qui seront trop heureux de prendre votre appui ;
Et déjà, je ne sais par quelle fantaisie,
J’en crois voir à mes pieds de plus puissants que lui.

lysander

Donc à moins que d’un roi tu ne veux plus te rendre ?

aglatide

Je crois pour Spitridate avoir déjà fait voir
Que ma sœur n’a rien à m’apprendre
Sur le chapitre du devoir.
Elle sait obéir, et je le sais comme elle :