Laissez-leur garder leur conquête.
Peut-être qu’Elpinice avec plaisir s’apprête
À vous laisser ailleurs trouver un sort plus doux,
Quand un autre pour elle a d’autres yeux que vous,
Qu’elle cède ce cœur à celle qui le vole,
Et qu’en ce même instant qu’on vous le surprenait,
Un pareil attentat sur sa propre parole
Lui dérobait celui qu’elle vous destinait.
Surtout ne craignez rien du côté d’Aglatide :
Je puis répondre d’elle, et quand j’aurai parlé,
Vous verrez tout son cœur, où mon vouloir préside,
Vous payer de celui qu’elle vous a volé.
Ah ! Seigneur, pour ce vol je ne me plains pas d’elle.
Et de qui donc ?
L’amour s’y sert d’une autre main.
L’amour !
Oui, cet amour qui me rend infidèle…
Seigneur, du nom d’amour n’abusez point en vain,
Dites d’Agésilas la haine insatiable :
C’est elle dont l’aigreur auprès de vous m’accable,
Et qui de jour en jour s’animant contre moi,
Pour me perdre d’honneur m’enlève votre foi.
Ah ! S’il y va de votre gloire,
Ma parole est donnée, et dussé-je en mourir,
Je la tiendrai, Seigneur, jusqu’au dernier soupir ;
Mais quoi que la surprise ait pu vous faire croire,
N’accusez point Agésilas
D’un crime de mon cœur, que même il ne sait pas.
Mandane, qui m’ordonne à vos yeux de le dire,
Vous montre assez par là quel souverain empire
L’amour lui donne sur ce cœur.
Ne considérez point si j’aime ou si l’on m’aime ;
En matière d’honneur ne voyez que vous-même,
Et disposez de moi comme veut cet honneur.
L’amour le fera mieux ; ce que j’en viens d’apprendre
M’offre un sujet de joie où j’en voyais d’ennui :
Épouser la sœur de mon gendre,
C’est le devenir comme lui.
Aglatide d’ailleurs n’est pas si délaissée
Que votre exemple n’aide à lui trouver un roi ;
Et pour peu que le ciel réponde à ma pensée,
Ce sera plus de gloire et plus d’appui pour moi.
Aussi ferai-je plus : je veux que de moi-même
Vous teniez cet objet qui vous fait soupirer ;
Et Spitridate, à moins que de m’en assurer,
N’obtiendra jamais ce qu’il aime.
Je veux dès aujourd’hui savoir d’Agésilas
S’il pourra consentir à ce double hyménée,
Dont ma parole était donnée.
Sa haine apparemment ne m’en avouera pas :
Si pourtant par bonheur il m’en laisse le maître,
J’en userai, Seigneur, comme je le promets ;
Sinon, vous lui ferez connaître
Vous-même quels sont vos souhaits.
Ah ! Que Mandane et moi n’avons-nous mille vies,
Seigneur, pour vous les immoler !
Car je ne saurais plus vous le dissimuler,
Nos âmes en seront également ravies.
Souffrez-lui donc sa part en ces ravissements ;
Et pardonnez, de grâce, à mon impatience…
Allez : on m’a vu jeune, et par expérience
Je sais ce qui se passe au cœur des vrais amants.
Scène V
Seigneur, n’êtes-vous point d’une humeur bien facile
D’applaudir à Cotys sur son manque de foi ?
Je prends pour l’attacher à moi
Ce qui s’offre de plus utile.
D’un emportement indiscret
Je ne voyais rien à prétendre :
Vouloir par force en faire un gendre,
Ce n’est qu’en vouloir faire un ennemi secret.
Je veux me l’acquérir : je veux, s’il m’est possible,
À force d’amitiés si bien le ménager,
Que quand je voudrai me venger,
J’en tire un secours infaillible.
Ainsi je flatte ses désirs,
J’applaudis, je défère à ses nouveaux soupirs,
Je me fais l’auteur de sa joie,
Je sers sa passion, et sous cette couleur
Je m’ouvre dans son âme une infaillible voie
À m’en faire à mon tour servir avec chaleur.
Oui, mais Agésilas, Seigneur, aime Mandane :
Du moins toute sa cour ose le deviner ;
Et promettre à Cotys cette illustre Persane,
C’est lui promettre tout pour ne lui rien donner.
Qu’à ses vœux mon tyran l’accorde ou la refuse,
De la manière dont j’en use,
Il ne peut m’ôter son appui ;
Et de quelque façon que la chose se passe,
Ou je fais la première grâce,