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Scène II

Lysander, Spitridate, Mandane, Cléon
lysander

Quoique en matière d’hyménées
L’importune langueur des affaires traînées
Attire assez souvent de fâcheux embarras,
J’ai voulu qu’à loisir vous pussiez voir mes filles,
Avant que demander l’aveu d’Agésilas
Sur l’union de nos familles.
Dites-moi donc, Seigneur, ce qu’en jugent vos yeux,
S’ils laissent votre cœur d’accord de vos promesses,
Et si vous y sentez plus d’aimables tendresses
Que de justes désirs de pouvoir choisir mieux.
Parlez avec franchise, avant que je m’expose
À des refus presque assurés,
Que j’estimerai peu de chose
Quand vous serez plus déclarés ;
Et n’appréhendez point l’emportement d’un père :
Je sais trop que l’amour de ses droits est jaloux,
Qu’il dispose de nous sans nous,
Que les plus beaux objets ne sont pas sûrs de plaire.
L’aveugle sympathie est ce qui fait agir
La plupart des feux qu’il excite ;
Il ne l’attache pas toujours au vrai mérite :
Et quand il la dénie, on n’a point à rougir.

spitridate

Puisque vous le voulez, je ne puis me défendre,
Seigneur, de vous parler avec sincérité :
Ma seule ambition est d’être votre gendre ;
Mais apprenez, de grâce, une autre vérité :
Ce bonheur que j’attends, cette gloire où j’aspire,
Et qui rendrait mon sort égal au sort des dieux,
N’a pour objet… Seigneur, je tremble à vous le dire ;
Ma sœur vous l’expliquera mieux.


Scène III

Lysander, Mandane, Cléon
lysander

Que veut dire, Madame, une telle retraite ?
Se plaint-il d’Aglatide, et la jeune indiscrète
Répondrait-elle mal aux honneurs qu’il lui fait ?

mandane

Elle y répond, Seigneur, ainsi qu’il le souhaite,
Et je l’en vois fort satisfait ;
Mais je ne vois pas bien que par les sympathies
Dont vous venez de nous parler,
Leurs âmes soient fort assorties,
Ni que l’amour encore ait daigné s’en mêler.
Ce n’est pas qu’il n’aspire à se voir votre gendre,
Qu’il n’y mette sa gloire, et borne ses plaisirs ;
Mais puisque par son ordre il me faut vous l’apprendre,
Elpinice est l’objet de ses plus chers désirs.

lysander

Elpinice ! Et sa main n’est plus en ma puissance !

mandane

Je sais qu’il n’est plus temps de vous la demander ;
Mais je vous répondrais de son obéissance,
Si Cotys la voulait céder.
Que sait-on si l’amour, dont la bizarrerie
Se joue assez souvent du fond de notre cœur,
N’aura point fait au sien même supercherie ?
S’il n’y préfère point Aglatide à sa sœur ?
Cet échange, Seigneur, pourrait-il vous déplaire,
S’il les rendait tous quatre heureux ?

lysander

Madame, doutez-vous de la bonté d’un père ?

mandane

Voyez donc si Cotys sera plus rigoureux :
Je vous laisse avec lui, de peur que ma présence
N’empêche une sincère et pleine confiance.

À Cotys.

Seigneur, ne cachez plus le véritable amour
Dont l’idée en secret vous flatte.
J’ai dit à Lysander celui de Spitridate ;
Dites le vôtre à votre tour.


Scène IV

Lysander, Cotys, Cléon
cotys

Puisqu’elle vous l’a dit, pourrais-je vous le taire ?
Jugez, Seigneur, de mes ennuis :
Une autre qu’Elpinice à mes yeux a su plaire ;
Et l’aimer est un crime en l’état où je suis.

lysander

Ne traitez point, Seigneur, ce nouveau feu de crime :
Le choix que font les yeux est le plus légitime ;
Et comme un beau désir ne peut bien s’allumer
S’ils n’instruisent le cœur de ce qu’il doit aimer,
C’est ôter à l’amour tout ce qu’il a d’aimable,
Que les tenir captifs sous une aveugle foi ;
Et le don le plus favorable
Que ce cœur sans leur ordre ose faire de soi
Ne fut jamais irrévocable.

cotys

Seigneur, ce n’est point par mépris,
Ce n’est point qu’Elpinice aux miens n’ait paru belle ;
Mais enfin (le dirai-je ?) oui, Seigneur, on m’a pris,
On m’a volé ce cœur que j’apportais pour elle :
D’autres yeux, malgré moi, s’en sont faits les tyrans,
Et ma foi s’est armée en vain pour ma défense ;
Ce lâche, qui s’est mis de leur intelligence,
Les a soudain reçus en justes conquérants.

lysander