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N’eût à sa tyrannie arraché ma province.
La Grèce a de plus saintes lois,
Elle a des peuples et des rois
Qui gouvernent avec justice :
La raison y préside, et la sage équité ;
Le pouvoir souverain par elles limité,
N’y laisse aucun droit de caprice.
L’hymen de ses rois même y donne cœur pour cœur ;
Et si vous aviez le bonheur
Que l’un d’eux vous offrît son trône avec son âme,
Vous seriez, par ce nœud charmant,
Et reine véritablement,
Et véritablement sa femme.

mandane

Je veux bien l’espérer : tout est facile aux dieux ;
Et peut-être que de bons yeux
En auraient déjà vu quelque flatteuse marque ;
Mais il en faut de bons pour faire un si grand choix.
Si le roi dans la Perse est un peu trop monarque,
En Grèce il est des rois qui ne sont pas trop rois :
Il en est dont le peuple est le suprême arbitre ;
Il en est d’attachés aux ordres d’un sénat ;
Il en est qui ne sont enfin, sous ce grand titre,
Que premiers sujets de l’état.
Je ne sais si le ciel pour régner m’a fait naître,
Et quoi qu’en ma faveur j’aie encor vu paraître,
Je doute si l’on m’aime ou non ;
Mais je pourrais être assez vaine
Pour dédaigner le nom de reine
Que m’offrirait un roi qui n’en eût que le nom.

spitridate

Vous en savez beaucoup, ma sœur, et vos mérites
Vous ouvrent fort les yeux sur ce que vous valez.

mandane

Je réponds simplement à ce que vous me dites,
Et parle en général comme vous me parlez.

spitridate

Cependant et des rois et de leur différence
Je vous trouve en effet plus instruite que moi.

mandane

Puisque vous m’ordonnez qu’ici j’espère un roi,
Il est juste, Seigneur, que quelquefois j’y pense.

spitridate

N’y pensez-vous point trop ?

mandane

Je sais que c’est à vous
À régler mes désirs sur le choix d’un époux :
Mon devoir n’en fera point d’autre ;
Mais quand vous daignerez choisir pour une sœur,
Daignez songer, de grâce, à faire son bonheur
Mieux que vous n’avez fait le vôtre.
D’un choix que vous m’aviez vous-même tant loué,
Votre cœur et vos yeux vous ont désavoué ;
Et si j’ai, comme vous, quelques pentes secrètes,
Seigneur, si c’est ainsi que vous les rencontrez,
Jugez, par le trouble où vous êtes,
De l’état où vous me mettrez.

spitridate

Je le vois bien, ma sœur, il faut vous laisser faire :
Qui choisit mal pour soi choisit mal pour autrui ;
Et votre cœur, instruit par le malheur d’un frère,
A déjà fait son choix sans lui.

mandane

Peut-être ; mais enfin vous suis-je nécessaire ?
Parlez : il n’est désirs ni tendres sentiments
Que je ne sacrifie à vos contentements.
Faut-il donner ma main pour celle d’Elpinice ?

spitridate

Que sert de m’en offrir un entier sacrifice,
Si je n’ose et ne puis même déterminer
À qui pour mon bonheur vous devez la donner ?
Cotys me la demande, Agésilas l’espère.

mandane

Agésilas, Seigneur ! Et le savez-vous bien ?

spitridate

Parler de vous sans cesse, aimer votre entretien,
Vous donner tout crédit, ne chercher qu’à vous plaire…

mandane

Ce sont civilités envers une étrangère,
Qui font beaucoup d’éclat, et ne produisent rien.
Il jette par là des amorces
À ceux qui, comme nous, voudront grossir ses forces ;
Mais quelque haut crédit qu’il me donne en sa cour,
De toute sa conduite il est si bien le maître,
Qu’au simple nom d’hymen vous verriez disparaître
Tout ce qu’en ses faveurs vous prenez pour amour.

spitridate

Vous penchez vers Cotys, et savez qu’Elpinice
Ne veut point être à moi qu’il ne soit à sa sœur !

mandane

Je vous réponds de tout, si vous avez son cœur.

spitridate

Et Lysander pourra souffrir cette injustice ?

mandane

Lysander est si mal auprès d’Agésilas,
Que ce sera beaucoup s’il en obtient un gendre ;
Et peut-être sans moi ne l’a-t-il pas :
Pour deux, il aurait tort, s’il osait y prétendre.
Mais, Seigneur, le voici ; tâchez de pressentir
Ce qu’en votre faveur il pourrait consentir.

spitridate

Ma sœur, vous êtes plus adroite ;
Souffrez que je ménage un moment de retraite :
J’aurais trop à rougir, pour peu que devant moi
Vous fissiez deviner de ce manque de foi.