Ma sœur n’a qu’à parler, je m’en tiens sûr par elle.
Seigneur, l’aimerait-il ?
Il la trouve assez belle,
Il en parle avec joie, et se plaît à la voir.
Je tâche d’affermir ces douces apparences ;
Et si vous voulez tout savoir,
Je pense avoir de quoi flatter mes espérances.
Prenez-y part, Seigneur, pour l’intérêt commun.
Quand nous aurons tous deux Lysander pour beau-père,
Ce roi s’allie à vous, s’il devient mon beau-frère ;
Et nous aurons ainsi deux appuis au lieu d’un.
Et Mandane y consent ?
Mandane est trop bien née
Pour dédire un devoir qui la met sous ma loi.
Et vous avez donné pour elle votre foi ?
Non ; mais à dire vrai, je la tiens pour donnée.
Ah ! Ne la donnez point, Seigneur, si vous m’aimez,
Ou si vous aimez Elpinice.
Mandane a tout mon cœur, mes yeux en sont charmés ;
Et ce n’est qu’à ce prix que je vous rends justice.
Elpinice ne rend votre foi qu’à sa sœur,
Et ce n’est qu’à ce prix qu’elle-même se donne.
Hélas ! Et si l’amour autrement en ordonne,
Le moyen d’y forcer mon cœur ?
Rendez-vous-en le maître.
Et l’êtes-vous du vôtre ?
J’y ferai mon effort, si je vous parle en vain ;
Et du moins, si ma sœur vous dérobe à toute autre,
Je serai maître de ma main.
Je ne le puis celer, qui que l’on me propose,
Toute autre que Mandane est pour moi même chose.
Il vous est donc facile, et doit même être doux,
Puisqu’enfin Elpinice aime un autre que vous,
De lui préférer qui vous aime ;
Et du moins vous auriez l’honneur,
Par un peu d’effort sur vous-même,
De faire le commun bonheur.
Je ferais trois heureux qui m’empêchent de l’être !
J’ose, j’ose vous faire une plus juste loi :
Ou faites mon bonheur dont vous êtes le maître,
Ou demeurez tous trois malheureux comme moi.
Eh bien ! épousez Elpinice :
Je renonce à tout mon bonheur,
Plutôt que de me voir complice
D’un manquement de foi qui vous perdrait d’honneur.
Rendez-vous à votre Aglatide,
Puisque votre cœur endurci
Veut suivre obstinément un faux devoir pour guide :
Je serai malheureux, vous le serez aussi.
ACTE II
Scène I
Que nous avons, ma sœur, brisé de rudes chaînes !
En Perse il n’est point de sujets ;
Ce ne sont qu’esclaves abjects,
Qu’écrasent d’un coup d’œil les têtes souveraines :
Le monarque, ou plutôt le tyran général,
N’y suit pour loi que son caprice,
N’y veut point d’autre règle et point d’autre justice,
Et souvent même impute à crime capital
Le plus rare mérite et le plus grand service ;
Il abat à ses pieds les plus hautes vertus,
S’immole insolemment les plus illustres vies,
Et ne laisse aujourd’hui que les cœurs abattus
À couvert de ses tyrannies.
Vous autres, s’il vous daigne honorer de son lit,
Ce sont indignités égales :
La gloire s’en partage entre tant de rivales,
Qu’elle est moins un honneur qu’un sujet de dépit.
Toutes n’ont pas le nom de reines,
Mais toutes portent mêmes chaînes,
Et toutes, à parler sans fard,
Servent à ses plaisirs sans part à son empire ;
Et même en ses plaisirs elles n’ont autre part
Que celle qu’à son cœur brutalement inspire
Ou ce caprice, ou le hasard.
Voilà, ma sœur, à quoi vous avait destinée,
À quel infâme honneur vous avait condamnée
Pharnabaze, son lieutenant :
Il aurait fait de vous un présent à son prince,
Si pour nous affranchir mon soin le prévenant