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La Nourrice

De qui ?

Célidan

De son Philiste.

La Nourrice

Le cœur me le disait, que ce rusé flatteur

Devait être du coup le véritable auteur.

Célidan

Je ne dis pas cela, nourrice ; du contraire,

Sa rencontre à Clarice était fort nécessaire.

La Nourrice

Quoi ! l’a-t-il délivrée ?

Célidan

Oui.

La Nourrice

Bons dieux !

Célidan

Sa valeur

Ote ensemble la vie, et Clarice au voleur.

La Nourrice

Vous ne parlez que d’un.

Célidan

L’autre ayant pris la fuite,

Philiste a négligé d’en faire la poursuite.

La Nourrice

Leur carrosse roulant, comme est-il avenu…

Célidan

Tu m’en veux informer en vain par le menu.

Peut-être un mauvais pas, une branche, une pierre,

Fit verser leur carrosse, et les jeta par terre ;

Et Philiste eut tant d’heur que de les rencontrer

Comme eux et ta maîtresse étaient prêts d’y rentrer.

La Nourrice

Cette heureuse nouvelle a mon âme ravie.

Mais le nom de celui qu’il a privé de vie ?

Célidan

C’est… je l’aurais nommé mille fois en un jour :

Que ma mémoire ici me fait un mauvais tour !

C’est un des bons amis que Philiste eût au monde.

Rêve un peu comme moi, nourrice, et me seconde.

La Nourrice

Donnez-m’en quelque adresse.

Célidan

Il se termine en don.

C’est… j’y suis ; peu s’en faut ; attends, c’est…

La Nourrice

Alcidon ?

Célidan

T’y voilà justement.

La Nourrice

Est-ce lui ? Quel dommage

Qu’un brave gentilhomme en la fleur de son âge…

Toutefois il n’a rien qu’il n’ait bien mérité,

Et grâces aux bons dieux, son dessein avorté…

Mais du moins, en mourant, il nomma son complice ?

Célidan

C’est là le pis pour toi.

La Nourrice

Pour moi !

Célidan

Pour toi, nourrice.

La Nourrice

Ah ! le traître !

Célidan

Sans doute il te voulait du mal.

La Nourrice

Et m’en pourrait-il faire ?

Célidan

Oui, son rapport fatal…

La Nourrice

Ne peut rien contenir que je ne le dénie.

Célidan

En effet, ce rapport n’est qu’une calomnie.

Ecoute cependant : il a dit qu’à ton su

Ce malheureux dessein avait été conçu ;

Et que pour empêcher la fuite de Clarice,

Ta feinte pâmoison lui fit un bon office ;

Qu’il trouva le jardin par ton moyen ouvert.

La Nourrice

De quels damnables tours cet imposteur se sert !

Non, monsieur ; à présent il faut que je le die !

Le ciel ne vit jamais de telle perfidie.

Ce traître aimait Clarice, et brûlant de ce feu,

Il n’amusait Doris que pour couvrir son jeu ;

Depuis près de six mois il a tâché sans cesse

D’acheter ma faveur auprès de ma maîtresse ;

Il n’a rien épargné qui fût en son pouvoir ;

Mais me voyant toujours ferme dans le devoir,

Et que pour moi ses dons n’avaient aucune amorce,

Enfin il a voulu recourir à la force.

Vous savez le surplus, vous voyez son effort

À se venger de moi pour le moins en sa mort :

Piqué de mes refus, il me fait criminelle,

Et mon crime ne vient que d’être trop fidèle.

Mais, monsieur, le croit-on ?

Célidan

N’en doute aucunement.

Le bruit est qu’on t’apprête un rude châtiment.

La Nourrice

Las ! que me dites-vous ?

Célidan

Ta maîtresse en colère

Jure que tes forfaits recevront leur salaire ;

Surtout elle s’aigrit contre ta pâmoison.

Si tu veux éviter une infâme prison,

N’attends pas son retour.

La Nourrice

Où me vois-je réduite,