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tienne ;

Mais si jamais je trouve ici ce courratier,

Je lui saurai, madame, apprendre son métier.

Chrisante

Il vient sous mon aveu.

Philiste

Votre aveu ne m’importe ;

C’est un fou s’il me voit sans regagner la porte :

Autrement, il saura ce que pèsent mes coups.

Chrisante

Est-ce là le respect que j’attendais de vous ?

Philiste

Commandez que le cœur à vos yeux je m’arrache,

Pourvu que mon honneur ne souffre aucune tache :

Je suis prêt d’expier avec mille tourments

Ce que je mets d’obstacle à vos contentements.

Chrisante

Souffrez que la raison règle votre courage ;

Considérez, mon fils, quel heur, quel avantage,

L’affaire qui se traite apporte à votre sœur.

Le bien est en ce siècle une grande douceur :

Etant riche, on est tout ; ajoutez qu’elle-même

N’aime point Alcidon, et ne croit pas qu’il l’aime.

Quoi ! voulez-vous forcer son inclination ?

Philiste

Vous la forcez vous-même à cette élection :

Je suis de ses amours le témoin oculaire.

Chrisante

Elle se contraignait seulement pour vous plaire.

Philiste

Elle doit donc encor se contraindre pour moi.

Chrisante

Et pourquoi lui prescrire une si dure loi ?

Philiste

Puisqu’elle m’a trompé, qu’elle en porte la peine.

Chrisante

Voulez-vous l’attacher à l’objet de sa haine ?

Philiste

Je veux tenir parole à mes meilleurs amis,

Et qu’elle tienne aussi ce qu’elle m’a promis.

Chrisante

Mais elle ne vous doit aucune obéissance.

Philiste

Sa promesse me donne une entière puissance.

Chrisante

Sa promesse, sans moi, ne la peut obliger.

Philiste

Que deviendra ma foi, qu’elle a fait engager ?

Chrisante

Il la faut révoquer, comme elle sa promesse.

Philiste

Il faudrait donc, comme elle, avoir l’âme traîtresse.

Lycas, cours chez Florange, et dis-lui de ma part…

Chrisante

Quel violent esprit !

Philiste

Que s’il ne se départ

D’une place chez nous par surprise occupée,

Je ne le trouve point sans une bonne épée.

Chrisante

Attends un peu. Mon fils…

Philiste, à Lycas.

Marche, mais promptement.

Chrysante, seule.

Dieux ! que cet emporté me donne de tourment !

Que je te plains, ma fille ! Hélas ! pour ta misère

Les destins ennemis t’ont fait naître ce frère ;

Déplorable, le ciel te veut favoriser

D’une bonne fortune, et tu n’en peux user.

Rejoignons toutes deux ce naturel sauvage,

Et tâchons par nos pleurs d’amollir son courage.

Scène VIII

Clarice, dans son jardin

Chers confidents de mes désirs,

Beaux lieux, secrets témoins de mon inquiétude,

Ce n’est plus avec des soupirs

Que je viens abuser de votre solitude ;

Mes tourments sont passés,

Mes vœux sont exaucés,

La joie aux maux succède :

Mon sort en ma faveur change sa dure loi,

Et pour dire en un mot le bien que je possède,

Mon Philiste est à moi.

En vain nos inégalités

M’avaient avantagée à mon désavantage.

L’amour confond nos qualités,

Et nous réduit tous deux sous un même esclavage.

L’aveugle outrecuidé

Se croirait mal guidé

Par l’aveugle fortune ;

Et son aveuglement par miracle fait voir

Que quand il nous saisit, l’autre nous importune,

Et n’a plus de pouvoir.

Cher Philiste, à présent tes yeux,

Que j’entendais si bien sans les vouloir entendre,

Et tes propos mystérieux,

Par leurs rusés détours n’ont plus rien à m’apprendre.

Notre libre entretien

Ne dissimule rien ;

Et ces respects farouches

N’exerçant plus sur nous de secrètes rigueurs,

L’amour est maintenant le maître de nos bouches

Ainsi que de nos cœurs.

Qu’il fait bon avoir enduré !

Que le plaisir se goûte au sortir des s