valez ?
Seriez-vous bien content qu’on crût ce que vous dites ?
Demeurez avec moi d’accord de vos mérites ;
Laissez-moi me flatter de cette vanité,
Que j’ai quelque pouvoir sur votre liberté,
Et qu’une humeur si froide, à toute autre invincible,
Ne perd qu’auprès de moi le titre d’insensible :
Une si douce erreur tâche à s’autoriser ;
Quel plaisir prenez-vous à m’en désabuser ?
Philiste
Ce n’est point une erreur ; pardonnez-moi, madame,
Ce sont les mouvements les plus sains de mon âme.
Il est vrai, je vous aime, et mes feux indiscrets
Se donnent leur supplice en demeurant secrets.
Je reçois sans contrainte une ardeur téméraire ;
Mais si j’ose brûler, je sais aussi me taire ;
Et près de votre objet, mon unique vainqueur,
Je puis tout sur ma langue, et rien dessus mon cœur.
En vain j’avais appris que la seule espérance
Entretenait l’amour dans la persévérance,
J’aime sans espérer ; et mon cœur enflammé
A pour but de vous plaire, et non pas d’être aimé.
L’amour devient servile, alors qu’il se dispense
À n’allumer ses feux que pour la récompense.
Ma flamme est toute pure, et sans rien présumer,
Je ne cherche en aimant que le seul bien d’aimer.
Clarice
Et celui d’être aimé, sans que tu le prétendes,
Préviendra tes désirs et tes justes demandes.
Ne déguisons plus rien, cher Philiste : il est temps
Qu’un aveu mutuel rende nos vœux contents.
Donnons-leur, je te prie, une entière assurance,
Vengeons-nous à loisir de notre indifférence,
Vengeons-nous à loisir de toutes ces langueurs
Où sa fausse couleur avait réduit nos cœurs.
Philiste
Vous me jouez, madame, et cette accorte feinte
Ne donne à mon amour qu’une railleuse atteinte.
Clarice
Quelle façon étrange ! En me voyant brûler,
Tu t’obstines encore à le dissimuler ;
Tu veux qu’encore un coup je me donne la honte
De te dire à quel point l’amour pour toi me dompte :
Tu le vois cependant avec pleine clarté,
Et veux douter encor de cette vérité ?
Philiste
Oui, j’en doute, et l’excès du bonheur qui m’accable
Me surprend, me confond, me paraît incroyable.
Madame, est-il possible ? et me puis-je assurer
D’un bien à quoi mes vœux n’oseraient aspirer ?
Clarice
Cesse de me tuer par cette défiance.
Qui pourrait des mortels troubler notre alliance ?
Quelqu’un a-t-il à voir dessus mes actions,
Dont j’aie à prendre l’ordre en mes affections ?
Veuve, et qui ne dois plus de respect à personne,
Ne puis-je disposer de ce que je te donne ?
Philiste
N’ayant jamais été digne d’un tel honneur,
J’ai de la peine encore à croire mon bonheur.
Clarice
Pour t’obliger enfin à changer de langage,
Si ma foi ne suffit que je te donne en gage,
Un bracelet exprès tissu de mes cheveux,
T’attend pour enchaîner et ton bras et tes vœux ;
Viens le quérir, et prendre avec moi la journée
Qui termine bientôt notre heureux hyménée.
Philiste
C’est dont vos seuls avis se doivent consulter :
Trop heureux, quant à moi, de les exécuter !
La Nourrice, seule.
Vous comptez sans votre hôte, et vous pourrez apprendre
Que ce n’est pas sans moi que ce jour se doit prendre.
De vos prétentions Alcidon averti
Vous fera, s’il m’en croit, un dangereux parti.
Je lui vais bien donner de plus sûres adresses
Que d’amuser Doris par de fausses caresses ;
Aussi bien, m’a-t-on dit, à beau jeu beau retour :
Au lieu de la duper avec ce feint amour,
Elle-même le dupe, et lui rendant son change,
Lui promet un amour qu’elle garde à Florange :
Ainsi, de tous côtés primé par un rival,
Ses affaires sans moi se porteraient fort mal.
Scène V
Alcidon, Doris
Alcidon
Adieu, mon cher souci ; sois sûre que mon âme
Jusqu’au dernier soupir conservera sa flamme.
Doris
Alcidon, cet adieu me prend au dépourvu.
Tu ne fais que d’entrer ; à peine t’ai-je vu :
C’est m’envier trop tôt le bien de ta présence.
De grâce, oblige-moi d’un peu de complaisance,
Et puisque je te tiens, souffre qu’avec loisir
Je puisse m’en donner un peu plus de plaisir.
Alcidon
Je t’explique si mal le feu qui me consume,
Qu’il me force à rougir d’autant plus qu’il s’allume
Mon discours s’en confond, j’en demeure interdit ;
Ce que je ne puis dire est plus que je n’ai dit :
J’en hais les vains efforts de ma langue grossière,
Qui manquent de justesse en si belle matière,
Et ne répondant point aux mouvements du cœur,
Te découvrent si peu le fond de ma langueur.
Doris, si tu pouvais lire dans ma pensée,
Et voir jusqu’au milieu de mon âme