Page:Corneille - Œuvres complètes Didot 1855 tome 1.djvu/80

Cette page n’a pas encore été corrigée

Il dit ce qu’il a lu. Daignez juger, de grâce,

Plus favorablement de son intention ;

Et pour mieux vous montrer où va sa passion,

Vous savez les deux points (mais aussi, je vous prie,

Vous ne lui direz pas cette supercherie).

Chrisante

Non, non.

Géron

Vous savez donc les deux difficultés

Qui jusqu’à maintenant vous tiennent arrêtés ?

Chrisante

Il veut son avantage, et nous cherchons le nôtre.

Géron

"Va, Géron, m’a-t-il dit ; et pour l’une et pour l’autre,

Si par dextérité tu n’en peux rien tirer,

Accorde tout plutôt que de plus différer.

Doris est à mes yeux de tant d’attraits pourvue,

Qu’il faut bien qu’il m’en coûte un peu pour l’avoir vue."

Mais qu’en dit votre fille ?

Chrisante

Elle suivra mon choix,

Et montre une âme prête à recevoir mes lois ;

Non qu’elle en fasse état plus que de bonne sorte :

Il suffit qu’elle voit ce que le bien apporte,

Et qu’elle s’accommode aux solides raisons

Qui forment à présent les meilleures maisons.

Géron

À ce compte, c’est fait. Quand vous plaît-il qu’il vienne

Dégager ma parole, et vous donner la sienne ?

Chrisante

Deux jours me suffiront, ménagés dextrement,

Pour disposer mon fils à son contentement.

Durant ce peu de temps, si son ardeur le presse,

Il peut hors du logis rencontrer sa maîtresse.

Assez d’occasions s’offrent aux amoureux.

Géron

Madame, que d’un mot je vais le rendre heureux !

Scène V

Philiste, Clarice

Philiste

Le bonheur aujourd’hui conduisait vos visites,

Et semblait rendre hommage à vos rares mérites,

Vous avez rencontré tout ce que vous cherchiez.

Clarice

Oui ; mais n’estimez pas qu’ainsi vous m’empêchiez

De vous dire, à présent que nous faisons retraite,

Combien de chez Daphnis je sors mal satisfaite.

Philiste

Madame, toutefois elle a fait son pouvoir,

Du moins en apparence, à vous bien recevoir.

Clarice

Ne pensez pas aussi que je me plaigne d’elle.

Philiste

Sa compagnie était, ce me semble, assez belle.

Clarice

Que trop belle à mon goût, et, que je pense, au tien !

Deux filles possédaient seules ton entretien ;

Et leur orgueil, enflé par cette préférence,

De ce qu’elles valaient tirait pleine assurance.

Philiste

Ce reproche obligeant me laisse tout surpris :

Avec tant de beautés, et tant de bons esprits,

Je ne valus jamais qu’on me trouvât à dire.

Clarice

Avec ces bons esprits je n’étais qu’en martyre ;

Leur discours m’assassine, et n’a qu’un certain jeu

Qui m’étourdit beaucoup, et qui me plaît fort peu.

Philiste

Celui que nous tenions me plaisait à merveilles.

Clarice

Tes yeux s’y plaisaient bien autant que tes oreilles.

Philiste

Je ne le puis nier, puisqu’en parlant de vous,

Sur les vôtres mes yeux se portaient à tous coups,

Et s’en allaient chercher sur un si beau visage

Mille et mille raisons d’un éternel hommage.

Clarice

O la subtile ruse ! et l’excellent détour !

Sans doute une des deux te donne de l’amour ;

Mais tu le veux cacher.

Philiste

Que dites-vous, madame ?

Un de ces deux objets captiverait mon âme !

Jugez-en mieux, de grâce ; et croyez que mon cœur

Choisirait pour se rendre un plus puissant vainqueur.

Clarice

Tu tranches du fâcheux. Bélinde et Chrysolite

Manquent donc, à ton gré, d’attraits et de mérite,

Elles dont les beautés captivent mille amants ?

Philiste

Tout autre trouverait leurs visages charmants,

Et j’en ferais état, si le ciel m’eût fait naître

D’un malheur assez grand pour ne vous pas connaître ;

Mais l’honneur de vous voir, que vous me permettez,

Fait que je n’y remarque aucunes raretés ;

Et plein de votre idée, il ne m’est pas possible

Ni d’admirer ailleurs, ni d’être ailleurs sensible.

Clarice

On ne m’éblouit pas à force de flatter :

Revenons au propos que tu veux éviter.

Je veux savoir des deux laquelle est ta maîtresse,

Ne dissimule plus, Philiste, et me confesse…

Philiste

Que Chrysolite et l’autre, égales toutes deux,

N’ont rien d’assez puissant pour attirer mes vœux.

Si, blessé des regards de quelque beau visage,