Et découvrir son mal à celle qui le cause.
La Nourrice
Pourquoi ?
Alcidon
Pour deux raisons : l’une, qu’il me propose
Ce qu’il a dans le cœur beaucoup plus librement ;
L’autre, que ta maîtresse après ce compliment,
Le chassera peut-être ainsi qu’un téméraire.
La Nourrice
Ne l’enhardis pas tant ; j’aurais peur au contraire
Que malgré tes raisons quelque mal ne t’en prît :
Car enfin ce rival est bien dans son esprit,
Mais non pas tellement qu’avant que le mois passe
Notre adresse sous main ne le mette en disgrâce.
Alcidon
Et lors ?
La Nourrice
Je te réponds de ce que tu chéris.
Cependant continue à caresser Doris ;
Que son frère, ébloui par cette accorte feinte,
De nos prétentions n’ait ni soupçon, ni crainte.
Alcidon
À m’en ouïr conter, l’amour de Céladon
N’eut jamais rien d’égal à celui d’Alcidon :
Tu rirais trop de voir comme je la cajole.
La Nourrice
Et la dupe qu’elle est croit tout sur ta parole ?
Alcidon
Cette jeune étourdie est si folle de moi,
Qu’elle prend chaque mot pour article de foi ;
Et son frère, pipé du fard de mon langage,
Qui croit que je soupire après son mariage,
Pensant bien m’obliger, m’en parle tous les jours ;
Mais quand il en vient là, je sais bien mes détours.
Tantôt, vu l’amitié qui tous deux nous assemble,
J’attendrai son hymen pour être heureux ensemble ;
Tantôt il faut du temps pour le consentement
D’un oncle dont j’espère un haut avancement ;
Tantôt je sais trouver quelqu’autre bagatelle.
La Nourrice
Séparons-nous, de peur qu’il entrât en cervelle,
S’il avait découvert un si long entretien.
Joue aussi bien ton jeu que je jouerai le mien.
Alcidon
Nourrice, ce n’est pas ainsi qu’on se sépare.
La Nourrice
Monsieur, vous me jugez d’un naturel avare.
Alcidon
Tu veilleras pour moi d’un soin plus diligent.
La Nourrice
Ce sera donc pour vous plus que pour votre argent.
Scène III
Chrysante, Doris
Chrisante
C’est trop désavouer une si belle flamme,
Qui n’a rien de honteux, rien de sujet au blâme :
Confesse-le, ma fille, Alcidon a ton cœur ;
Ses rares qualités l’en ont rendu vainqueur :
Ne vous entr’appeler que "mon âme et ma vie",
C’est montrer que tous deux vous n’avez qu’une envie,
Et que d’un même trait vos esprits sont blessés.
Doris
Madame, il n’en va pas ainsi que vous pensez.
Mon frère aime Alcidon, et sa prière expresse
M’oblige à lui répondre en termes de maîtresse.
Je me fais, comme lui, souvent toute de feux ;
Mais mon cœur se conserve, au point où je le veux,
Toujours libre, et qui garde une amitié sincère
À celui que voudra me prescrire une mère.
Chrisante
Oui, pourvu qu’Alcidon te soit ainsi prescrit.
Doris
Madame, pussiez-vous lire dans mon esprit !
Vous verriez jusqu’où va ma pure obéissance.
Chrisante
Ne crains pas que je veuille user de ma puissance ;
Je croirais en produire un trop cruel effet,
Si je te séparais d’un amant si parfait.
Doris
Vous le connaissez mal ; son âme a deux visages,
Et ce dissimulé n’est qu’un conteur à gages.
Il a beau m’accabler de protestations,
Je démêle aisément toutes ses fictions ;
Il ne me prête rien que je ne lui renvoie :
Nous nous entre-payons d’une même monnoie ;
Et malgré nos discours, mon vertueux désir
Attend toujours celui que vous voudrez choisir :
Votre vouloir du mien absolument dispose.
Chrisante
L’épreuve en fera foi ; mais parlons d’autre chose.
Nous vîmes hier au bal, entre autres nouveautés,
Tout plein d’honnêtes gens caresser les beautés.
Doris
Oui, madame : Alindor en voulait à Célie,
Lysandre à Célidée, Oronte à Rosélie.
Chrisante
Et, nommant celles-ci, tu caches finement
Qu’un certain t’entretint assez paisiblement.
Doris
Ce visage inconnu qu’on appelait Florange ?
Chrisante
Lui-même.
Doris
Ah, Dieu ! que c’est un cajoleur étrange !