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Scène V

JUNON, dans son char, au milieu de l’air ;
PHINÉE, AMMON, suite de PHINÉE.


JUNON
N’en doute point, Phinée, et cesse d’endurer.
PHINÉE
Elle-même paraît pour nous en assurer.
JUNON
Je ne serai pas seule ; ainsi que moi Neptune
S’intéresse en ton infortune ;
Et déjà la noire Alecton,
Du fond des enfers déchaînée,
A, par les ordres de Pluton,
De mille cœurs pour toi la fureur mutinée :
Fort de tant de seconds, ose, et sers mon courroux
Contre l’indigne sang de mon perfide époux.
PHINÉE
Nous te suivons, déesse ; et dessous tes auspices
Nous franchirons sans peur les plus noirs précipices.
Que craindrons-nous, amis ? nous avons dieux pour dieux,
Oracle pour oracle, et la faveur des cieux
D’un contre-poids égal dessus nous balancée
N’est pas entièrement du côté de Persée.
JUNON
Je te le dis encor, ose, et sers mon courroux
Contre l’indigne sang de mon perfide époux.
AMMON
Sous tes commandements nous y courons, déesse,
Le cœur plein d’espérance, et même d’allégresse.
Allons, seigneur, allons assembler vos amis ;
Courons au grand succès qu’elle vous a promis :
Aussi bien le roi vient, il faut quitter la place.
De peur,…
PHINÉE
XXXXXXXXXXNon, demeurez pour voir ce qui se passe ;
Et songez à m’en faire un fidèle rapport,
Tandis que je m’apprête à cet illustre effort.

Scène VI

CÉPHÉE, CASSIOPE, ANDROMÈDE, PERSÉE,
AMMON, TIMANTE, chœur de peuple.
TIMANTE
Seigneur, le souvenir des plus âpres supplices,
Quand un tel bien les suit, n’a jamais que délices.
Si d’un mal sans pareil nous nous vîmes surpris,
Nous bi’nissons le ciel d’un tel mal à ce prix ;
Et voyant quel époux il donne à la princesse,
La douleur s’en termine en ces chants d’allégresse.
chœur chante
Vivez, vivez, heureux amants,
Dans les douceurs que l’amour vous inspire ;
Vivez, heureux, et vivez si long-temps,
Qu’au bout d’un siècle entier on puisse encor vous dire :
Vivez, heureux amants.
Que les plaisirs les plus charmants
Fassent les jours d’une si belle vie ;
Qu’ils soient sans tache, et que tous leurs moments"
Fassent redire même à la voix de l’envie :
Vivez, heureux amants.
Que les peuplés les plus puissants,
Dans nos souhaits à pleins vœux nous secondent !
Qu’aux dieux pour vous ils prodiguent l’encens,
Et des bouts de la terre à l’envi nous répondent :
Vivez, heureux amants.
CÉPHÉE
Allons, amis, allons, dans ce comble de joie,
Rendre grâces au ciel de l’heur qu’il nous envoie.
Allons dedans le temple avecque mille vœux
De cet illustre hymen achever les beaux nœuds.
Allons sacrifier à Jupiter son père.
Le prier de souffrir ce que nous pensons faire,
Et ne s’offenser pas que ce noble lien
Fasse un mélange heureux de son sang et du mien.
CASSIOPE
Souffrez qu’auparavant par d’autres sacrifices
Nous nous rendions des eaux les déités propices.
Neptune est irrité ; les nymphes de la mer
Ont de nouveaux sujets encor de s’animer ;
Et comme mon orgueil fit naître leur colère,
Par mes submissions je dois les satisfaire.
Sur leurs sables, témoins de tant de vanités,
Je vais sacrifier à leurs divinités ;
Et conduisant ma fille à ce même rivage,
De ces mêmes beautés leur rendre un plein hommage,
Joindre nos vœux au sang des taureaux immolés :
Puis nous vous rejoindrons au temple où vous allez.
PERSÉE
Souffrez qu’en même temps de ma fière marâtre
Je tâche d’apaiser la haine opiniâtre ;
Qu’un pareil sacrifice et de semblables vœux
Tirent d’elle l’aveu qui peut me rendre heureux.
Vous savez que Junon à ce lien préside,
Que sans elle l’hymen marche d’un pied timide,
Et que sa jalousie aime à persécuter
Quiconque ainsi que moi sort de son Jupiter.
CÉPHÉE

.

Je suis ravi de voir qu’au milieu de vos flammes
De si dignes respects règnent dessus vos âmes.
Allez, j’immolerai pour vous à Jupiter,
Et je ne vois plus rien enfin à redouter.
Des dieux les moins bénins l’éternelle puissance
Ne veut de nous qu’amour et que reconnaissance ;
Et jamais leur courroux ne montre de rigueurs
Que n’abatte aussitôt l’abaissement des cœurs