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Le penchaient du côté qu’ils préparaient sa chute ;
Et cette haute estime attendant ce beau jour
N’était qu’un beau degré pour monter à l’amour.
CÉPHALIE
Un digne amour succède à cette haute estime :
Si je puis toutefois vous le dire sans crime,
C’est hasarder beaucoup que croire entièrement
L’impétuosité d’un si prompt changement,
Comme pour vous Phinée eut toujours quelques charmes,
Peut-être il ne lui faut qu’un soupir et deux larmes[1]
Pour dissiper un peu de cette avidité
Qui d’un si gros torrent suit la rapidité.
Deux amants que sépare une légère offense
Rentrent d’un seul coup d’œil en pleine intelligence.
Vous reverrez en lui ce qui le fit aimer,
Les mêmes qualités qu’il vous plut estimer…
ANDROMÈDE
Et j’y verrai de plus cette âme lâche et basse
Jusqu’à m’abandonner à toute ma disgrâce ;
Cet ingrat trop aimé qui n’osa me sauver,
Qui, me voyant périr, voulut se conserver,
Et crut s’être acquitté devant ce que nous sommes,
En querellant les dieux et menaçant les hommes.
S’il eût… Mais le voici ; voyons si ses discours
Rompront de ce torrent ou grossiront le cours.

Scène III

Andromède, Phinèe, Ammon, Chœur de Nymphes, suite de Phinée.
PHINÉE
Sur un bruit qui m’étonne, et que je ne puis croire[2],
Madame, mon amour, jaloux de votre gloire,
Vient savoir s’il est vrai que vous soyez d’accord,
Par un change honteux, de l’arrêt de ma mort.
Je ne suis point surpris que le roi, que la reine,
Suivent les mouvements d’une faiblesse humaine ;
Tout ce qui me surprend, ce sont vos volontés.
On vous donne à Persée, et vous y consentez !
Et toute votre foi demeure sans défense
Alors que de mon bien on fait sa récompense !
ANDROMÈDE
Oui, j’y consens, Phinée, et j’y dois consentir ;
Et quel que soit ce bien qu’il a su garantir,
Sans vous faire injustice on en fait son salaire,
Quand il a fait pour moi ce que vous deviez faire.
De quel front osez-vous me nommer votre bien,
Vous qu’on a vu tantôt n’y prétendre plus rien ?
Quoi ! vous consentirez qu’un monstre me dévore,
Et ce monstre étant mort je suis à vous encore !
Quand je sors de péril vous revenez à moi !
Vous avez de l’amour, et je vous dois ma foi !
C’était de sa fureur qu’il me fallait défendre,
Si vous vouliez garder quelque droit d’y prétendre :
Ce demi-dieu n’a fait, quoi que vous prétendiez,
Que m’arracher au monstre à qui vous me cédiez.
Quittez donc cette vaine et téméraire idée ;
Ne me demandez plus quand vous m’avez cédée.
Ce doit être pour vous même chose aujourd’hui,
Ou de me voir au monstre, ou de me voir à lui.
PHINÉE
Qu’ai-je oublié pour vous de ce que j’ai pu faire ?
N’ai-je pas des dieux même attiré la colère ?
Lorsque je vis. Æole armé pour m’en punir,
Fut-il en mon pouvoir de vous mieux retenir ?
N’eurent-ils pas besoin d’un éclat de tonnerre,
Ses ministres ailés, pour me jeter par terre ?
Et voyant mes efforts avorter sans effets.
Quels pleurs n’ai-je versés, et quels vœux n’ai-je faits ?
ANDROMÈDE
Vous avez donc pour moi daigné verser des larmes,
Lorsque pour me défendre un autre a pris les armes !
Et dedans mon péril vos sentiments ingrats
S’amusaient à des vœux quand il fallait des bras !
PHINÉE
Que pouvais-je de plus, ayant vu pour Nérée
De vingt amants armés la troupe dévorée ?
Devais-je encor promettre un succès à ma main,
Qu’on voyait au-dessus de tout l’effort humain ?
Devais-je me flatter de l’espoir d’un miracle ?
ANDROMÈDE
Vous deviez l’espérer sur la foi d’un oracle[3] :
Le ciel l’avait promis par un arrêt si doux !
Il l’a fait par un autre, et l’aurait fait par vous.
Mais quand vous auriez cru votre perte assurée,
Du moins ces vingt amants dévorés pour Nérée
Vous laissaient un exemple et noble et glorieux.
Si vous n’eussiez pas craint de périr à mes yeux.
Ils voyaient de leur mort la même certitude ;
Mais avec plus d’amour et moins d’ingratitude.
Tous voulurent mourir pour leur objet mourant.
Que leur amour du vôtre était bien différent !
L’effort de leur courage a produit vos alarmes,
Vous a réduit aux vœux, vous a réduit aux larmes ;
Et, quoique plus heureuse en un semblable sort,
Je vois d’un œil jaloux la gloire de sa mort.
Elle avait vingt amants qui voulurent la suivre,
  1. C’est là un des plus étranges vers qu’on ait jamais faits en quelque genre que ce puisse être ; mais ce n’est qu’un vers aisé à corriger, au lieu que les froids et inutiles discours d’Andromède et du chœur des nymphes ne peuvent être embellis. (V.)
  2. Le rôle de Phinée devient ridicule quand il fait des reproches il la princesse de ce qu’on la donne à celui qui l’a sauvée ; il ne tenait qu’à lui de se mettre dans une barque, et d’aller combattre le monstre. Ce personnage est trop avili. (V.)
  3. Ces contestations sont bien froides. (V.)