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d’Andromède ; aussi la voit-on au haut des nues, d’où les deux vents qui l’ont enlevée l’apportent avec impétuosité et l’attachent au pied d’un de ces rochers.
Scène première
Andromède, au pied d’un rocher ; deux vents qui l’y attachent, Timante, chœur de peuple sur le rivage.
TIMANTE
- Allons voir, chers amis, ce qu’elle est devenue,
- La princesse, et mourir, s’il se peut, à sa vue.
CHŒUR
- La voilà que ces vents achèvent d’attacher,
- En infâmes bourreaux, à ce fatal rocher,
TIMANTE
- Oui, c’est elle sans doute. Ah ! l’indigne spectacle !
CHŒUR
- Si le ciel n’est injuste, il lui doit un miracle.
(Les vents s’envolent.)
TIMANTE
- Il en fera voir un, s’il en croit nos désirs.
ANDROMÈDE
- Ô dieux !
TIMANTE
- Avec respect écoutons ses soupirs ;
- Et puissent les accents de ses premières plaintes
- Porter dans tous nos cœurs de mortelles atteintes !
ANDROMÈDE
- Affreuse image du trépas
- Qu’un triste honneur m’avait fardée,
- Surprenantes horreurs, épouvantable idée.
- Qui tantôt ne m’ébranliez pas,
- Que l’on vous conçoit mal quand on vous envisage
- Avec un peu d’éloignement[1] !
- Qu’on vous méprise alors ! qu’on vous brave aisément !
- Mais que la grandeur de courage
- Devient d’un difficile usage
- Lorsqu’on touche au dernier moment !
- Ici seule, et de toutes parts
- À mon destin abandonnée ;
- Ici que je n’ai plus ni parents, ni Phinée,
- Sur qui détourner mes regards ;
- L’attente de la mort de tout mon cœur s’empare.
- Il n’a qu’elle à considérer ;
- Et, quoi que de ce monstre il s’ose figurer.
- Ma constance qui s’y prépare
- Le trouve d’autant plus barbare
- Qu’il diffère à me dévorer.
- Étrange effet de mes malheurs !
- Mon âme traînante, abattue,
- N’a qu’un moment à vivre, et ce moment me lue
- À force de vives douleurs.
- Ma frayeur a pour moi mille mortelles feintes,
- Cependant que la mort me fuit ;
- Je pâme au moindre vent, je meurs au moindre bruit ;
- Et mes espérances éteintes
- N’attendent la fin de mes craintes
- Que du monstre qui les produit.
- Qu’il tarde à suivre mes désirs !
- Et que sa cruelle paresse
- À ce cœur dont ma flamme est encor la maîtresse
- Goûte d’amers et longs soupirs !
- Ô toi, dont jusqu’ici la douceur m’a suivie,
- Va-t’en, souvenir indiscret ;
- Et, cessant de me faire un entretien secret
- De ce prince qui m’a servie,
- Laisse-moi sortir de la vie
- Avec un peu moins de regret.
- C’est assez que tout l’univers
- Conspire à faire mes supplices ;
- Ne les redouble point, toi qui fus mes délices,
- En me montrant ce que je perds ;
- Laisse-moi…
Scène II
Cassiope, Andromède, Timante, chœur de peuple.
CASSIOPE
- Me voici, qui seule ai fait le crime ;
- Me voici, justes dieux, prenez votre victime ;
- S’il est quelque justice encore parmi vous,
- C’est à moi seule, à moi qu’est dû votre courroux.
- Punir les innocents, et laisser les coupables.
- Inhumains ! est-ce en être, est-ce en être capables ?
- À moi tout le supplice, à moi tout le forfait.
- Que faites-vous, cruels ? qu’avez-vous presque fait ?
- Andromède est ici votre plus rare ouvrage ;
- Andromède est ici votre plus digne image ;
- Elle rassemble en soi vos attraits divisés :
- On vous connaîtra moins si vous la détruisez.
- Ah ! je découvre enfin d’où provient tant de haine ;
- Vous en êtes jaloux plus que je n’en fus vaine ;
- Si vous la laissiez vivre, envieux tout-puissants,
- Elle aurait plus que vous et d’autels et d’encens ;
- ↑ On doit remarquer un défaut que Corneille n’a pu éviter dans aucune de ses pièces de théàtre ; c’est de faire parler le poëte à la place du personnage ; c’est de mettre en froids raisonnemenls, en maximes générales, ce qui doit être en sentiment ; défaut dans lequel Racine n’est jamais tombé. (V.)