Scène V
- Arrêtez ; ce nuage enferme une tempête
- Qui peut-être déjà menace votre tête.
- N’irritez plus les dieux déjà trop irrités.
- Qu’il crève, ce nuage, et que ces déités…
- Ne les irritez plus, vous dis-je, et prenez garde…
- À les trop irriter qu’est-ce que je hasarde ?
- Que peut craindre un amant quand il voit tout perdu ?
- Tombe, tombe sur moi leur foudre, s’il m’est dû ;
- Mais s’il est quelque main assez lâche et traîtresse
- Pour suivre leur caprice et saisir ma princesse.
- Seigneur, encore un coup, je jure ses beaux yeux,
- Et mes uniques rois, et mes uniques dieux…
- Téméraire mortel, n’en dis pas davantage ;
- Tu n’obliges que trop les dieux à te haïr :
- Quoi que pense attenter l’orgueil de ton courage.
- Ils ont trop de moyens de se faire obéir.
- Connais-moi, pour ton infortune ;
- Je suis Æole, roi des vents.
- Partez, mes orageux suivants,
- Faites ce qu’ordonne Neptune.
(Ce commandement d’Æole produit un spectacle étrange et merveilleux tout ensemble. Les deux vents qui étaient à ses côtés suspendus en l’air s’envolent, l’un à gauche et l’autre à droit[1] : deux autres remontent avec lui dans le ciel sur le même nuage qui les vient d’apporter ; deux autres, qui étaient à sa main gauche sur les ailes du théâtre, s’avancent au milieu de l’air, où, ayant fait un tour, ainsi que deux tourbillons, ils passent au côté droit du théâtre, d’où les deux derniers fondent sur Andromède, et, l’ayant saisie chacun par un bras. Ils l’enlèvent de l’autre côté jusque dans les nues.)
- Ô ciel !
- Ils l’ont saisie, et l’enlèvent en l’air.
- Ah ! ne présumez pas ainsi me la voler ;
- Je vous suivrai partout malgré votre surprise.
Scène VI
- Seigneur, un tel péril ne veut point de remise ;
- Mais espérez encor, je vole à son secours,
- Et vais forcer le sort à prendre un autre cours[2].
- Vingt amants pour Nérée en firent l’entreprise ;
- Mais il n’est point d’effort que ce monstre ne brise.
- Tous voulurent sauver ses attraits adorés,
- Tous furent avec elle à l’instant dévorés.
- Le ciel aime Andromède, il veut son hyménée,
- Seigneur ; et si les vents l’arrachent à Phinée,
- Ce n’est que pour la rendre à quelque illustre époux
- Qui soit plus digne d’elle, et plus digne de vous ;
- À quelque autre par là les dieux l’ont réservée.
- Vous saurez qui je suis quand je l’aurai sauvée.
- Adieu. Par des chemins aux hommes inconnus
- Je vais mettre en effet l’oracle de Vénus.
- Le temps nous est trop cher pour le perdre en paroles.
- Moi, qui ne puis former d’espérances frivoles,
- Pour ne voir point courir ce grand cœur au trépas,
- Je vais faire des vœux qu’on n’écoutera pas.
ACTE troisième
Il se fait ici une si étrange métamorphose, qu’il semble qu’avant de sortir de ce jardin Persée ait découvert cette monstrueuse tête de Méduse qu’il porte partout sous son bouclier. Les myrtes et les jasmins qui le composaient sont devenus des rochers affreux, dont les masses inégalement escarpées et bossues suivent si parfaitement le caprice de la nature, qu’il semble qu’elle ait plus contribué que l’art à les placer ainsi des deux côtés du théâtre : c’est en quoi l’artifice de l’ouvrier est merveilleux, et se fait voir d’autant plus, qu’il prend soin de se cacher. Les vagues s’emparent de toute la scène, à la réserve de cinq ou six pieds qu’elles laissent pour leur servir de rivage ; elles sont dans une agitation continuelle, et composent comme un golfe enfermé entre ces deux rangs de falaises : on en voit l’embouchure se dégorger dans la pleine mer, qui paraît si vaste et d’une si grande étendue, qu’on jurerait que les vaisseaux qui flottent près de l’horizon, dont la vue est bornée, sont éloignés de plus de six lieues de ceux qui les considèrent. Il n’y a personne qui ne juge que cet horrible spectacle est le funeste appareil de l’injustice des dieux et du supplice